L’Opéra de Montréal réussit son pari en s’associant à une compagnie européenne pour présenter Enigma, un troublant suspense opératique, inspiré de la pièce de théâtre Variations énigmatiques d’Éric-Emmanuel Schmitt, sur une musique de Patrick Burgan. Ces deux créateurs français nous entraînent dans un huis clos, sur fond de triangle amoureux, interprété par les ténors québécois: Antoine Bélanger et Jean-Michel Richer. Leurs dialogues tourmentés, à l’image de la partition percutante interprétée par I Musici de Montréal, nous tiennent en haleine durant plus de deux heures.
Des rivaux irréconciliables ?
Aux aguets dans sa maison où il vit retiré sur une île, Abel Znorko (Bélanger), prix Nobel de Littérature, accueille en tirant des coups de feu, un journaliste qu’il a pourtant invité, Erik Larsen (Richer). Ce dernier se risque, néanmoins, à interroger l’artiste, au sujet de son dernier livre qui consiste en une correspondance entre l’écrivain et une femme; l’ouvrage est dédicacé à une personne dont les initiales sont «H.M.».
Les dialogues ambigus entre les deux hommes sont ponctués de surprises qui trouvent leurs échos à travers des orchestrations qui vous feront littéralement bondir à quelques reprises! Dans la fosse, plus de quarante musiciens dirigés par Daniel Kawka nous plongent dans la musique intense de Burgan, où les dissonances et les audaces harmoniques ajoutent de la couleur aux vives émotions véhiculées sur scène.
Znorko demande à Larsen de lui parler de son village de Nobrovsnik où vivrait une admiratrice prénommée Hélène qui a écrit quelques lettres à l’écrivain. Juste avant l’entracte, on apprendra que les deux protagonistes ont été simultanément amoureux de la même femme mais, l’intrigue est loin de s’arrêter là!
Durant la deuxième partie du spectacle, on saisit tout le sens du titre Enigma. Abel et Erik ont aimé un être qui a joué un double jeu en se présentant différemment à l’un et à l’autre, de sorte que les deux hommes ont le sentiment de ne pas avoir réussi à saisir l’essence d’Hélène.
Judicieusement, on fait référence à Enigma Variations du Britannique Edward Elgar, une oeuvre symphonique composée à partir d’un thème caché. C’est là une métaphore de la relation amoureuse, puisqu’il semble impossible de découvrir pleinement la vérité qui se cache au fond de la personne aimée.
L’oeuvre est écrite pour deux ténors, comme pour souligner le fait que, malgré leurs personnalités fort différentes, l’auteur et le présumé journaliste sont tous les deux sous l’emprise d’un amour insaisissable.
En cet après-midi de première médiatique montréalaise (7 avril), Antoine Bélanger a été irréprochable dans son rôle de misanthrope parfois condescendant. Quant à Jean-Michel Richer qui n’était pas au sommet de sa forme, il a malgré tout défendu avec vigueur son personnage de supposé journaliste mais, l’un de ses élans vocaux a été interrompu par la toux.
Pour ce qui est du personnage d’Hélène, omniprésent dans ces dialogues lyriques, il est évoqué par un chœur féminin, à travers des mélodies enchanteresses et évanescentes.
Énigmatique jusqu’à la fin
Cette histoire inquiétante où la tension est souvent palpable se déroule dans un décor représentant une pièce de la maison de Znorko. Installé sur pilotis, de façon à suggérer l’insularité du lieu, cet espace est délimité par des contours lumineux, passant du blanc, au bleu et au rouge, au rythme des rebondissements. Les éclairages de Patrick Méeüs contribuent ainsi à magnifier cet univers mystérieux.
On remarque aussi, sur la scène, quelques objets à portée symbolique dont un magnétophone en marche ou à l’arrêt, ainsi qu’une pile de livres patiemment érigée puis soudainement détruite en réaction à certains aveux.
Grâce à l’irréprochable direction d’acteurs du metteur en scène Paul-Émile Fourny, le spectateur ne se sent jamais perdu, au cours de ce voyage dans les méandres des sentiments des amants esseulés.
Alors qu’on pourrait croire que les deux protagonistes ont fait le tour du sujet, voilà que de nouvelles divulgations choc surgissent! Après le tumulte maintes fois souligné énergiquement par les percussions, la musique semble annoncer un certain apaisement mais, le suspense perdure jusqu’à la toute fin et nous laisse, d’ailleurs, sur une note inattendue…
Enigma
Compositeur : Patrick Burgan / Librettiste : Éric-Emmanuel Schmitt
Avec:
Les ténors Antoine Bélanger et Jean-Michel Richer
I Musici de Montréal / Daniel Kawka, dir.
Choeur de l’Opéra de Montréal
Langue : En français avec surtitres français et anglais
Durée : 2h30 incluant un entracte
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, les 9, 11 et 13 avril à 19h 30 / Billets
Coproduction de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (Lorraine) et de l’Opéra de Montréal
*Photos fournies par l’Opéra de Montréal