Durant Le Show beige, une dizaine de saynètes défilent sous nos yeux à La Grande Licorne, certaines savoureuses et plusieurs frôlant le burlesque d’humours passablement moins raffinés se vautrant parfois dans le scabreux ou magnifiant le frivole.
On restera loin de la réussite dans ce genre tel que le Rideau Vert nous l’a offert en début de saison théâtrale avec le très maîtrisé Faire le bien, projet magistralement écrit par François Archambault et Gabrielle Chapdelaine.
Peu grinçants, les sketches qui composent le Show beige osent parfois la provocation mais tout reste indolemment caricatural.
La solitude et l’absence de repères
L’auteure Camille Giguère-Côté n’a pas voulu entrer, dit-elle en entretien après la pièce, dans l’univers paradoxal de la tragi-comédie, indiquant que le comique devait tout simplement l’emporter.
Nous sommes en un lieu qui fait pourtant face au célèbre théâtre de Gilles Latulippe ayant pignon sur rue de l’autre côté de Papineau où il faisait bon rire sans malice. Ici, les interprètes ont un texte abondant à déverser, souvent avec des unissons en chœur fort dynamiques.
Presque à chaque sketch, on jette les hauts cris sur des situations pourtant anodines, une espèce de plaisir à péter les plombs sur scène pour rien, et juste pour hurler de l’insipide vie dite ici «beige» qui serait devenue la nôtre.
Mais les allusions aux consultations médicales pour le mal-être, la prise d’antidépresseurs pour endormir la douleur de toute conscience, la sexualité de gymnastique ou mécanique qui n’apporte pas de jouissance de vivre ni la consolation d’avoir appris à bien aimer, toutes ces façons de tanguer en thèmes variés, sans en creuser aucun, sur la mer des émotions d’une vie triste … ça finit par dresser, paradoxalement, un tableau amer du mal vivre.
Le vrai beige est froideur
Le texte de cette pièce d’une auteure à ses premières armes ne passera pas à la postérité comme un choc ni comme un tiède tableau du monde.
D’une part, l’excellence des comédiens à nous divertir chasse les longueurs pénibles, et on arrive toujours à nous faire sourire, ce qui joue en faveur d’une écoute constante aux 70 minutes de la production sans entracte.
D’autre part, il y a des scènes et des costumes suffisamment divertissants pour que la longue liste des thèmes frôlés évoque suffisamment de réflexions intérieures cocasses utiles à évacuer l’ennui naissant lorsque on constate, fatalement, que les saynètes n’auront ni résolution ni portée philosophique d’aucune envergure.
Peu beige au final
Il me semble que cette pièce est bien loin de portraiturer le beige de l’existence mais bien davantage l’explosif chromatisme d’une vie immensément libre où la parole ose tout exprimer le loufoque de ce qui puisse passer par la tête de quelqu’un sans repères, sans balises, sans interdit, sans ancrage dans aucune discipline qui construise en effet un don.
Contrairement à ce qui est exposé ici, la routine immanente à une vie disciplinée mène droit à la rêverie ou l’inspirante poésie lors des pauses contrastantes offertes à toute vie rangée.
S’inspirer de plus grand que soi
Écrire est une ascèse et non un déversoir. On peut savourer l’ironie et l’humour en se postant au rancart et je chercherai une ou deux figures féminines ici: Clémence Desrochers tout à fait exemplaire pour la comédie à forte portée. La lire et la percevoir dans sa grandeur satirique.
Et si on choisissait la tragédie ou la tragi-comédie, je dirais Anne Hébert qui vécut sa riche vie d’écrivaine avec intelligence. Entre les rives de la rivière Jacques-Cartier où son cousin le poète Saint-Denys Garneau fut retrouvé mort de faim… et les arrondissements de Paris ou ses nombreux domiciles du Chemin de la Côte-des-neiges sur notre belle montagne où elle faisait ses promenades.
En écrivant dans un genre choisi, elle aussi fit naître en ces mondes, les meurtriers de ses nouvelles (Le Torrent), les épouvantes de ses romans (Fous de Bassan, Kamouraska), les songes de ses poèmes et tout le burlesque gai de son théâtre intérieur (Un habit de Lumière).
Avoir quelque chose de permanent à dire, même en humour, peut se faire sans une perpétuelle révolte de conflits irrésolus qui défilent, décousus, juste pour faire rigoler. Ceci dit, cette pièce s’ajoute à tout ce qu’on entend et voit à rire inlassablement sur les écrans démultipliés de nos jeux télévisés, nos productions drolatiques en séries qui nous ankylosent et nous font toutes cramper pour tout ou pour rien.