En plus d’offrir une impressionnante performance vocale, le baryton montréalais, Étienne Dupuis, incarne avec nuances le personnage complexe d’Eugène Onéguine, inspiré par le roman de Pouchkine. En ce samedi soir de première, à la Salle Wilfrid-Pelletier, on a longuement ovationné les chanteurs de cette excellente distribution qui permet, en plus, de découvrir de nouveaux talents. On a aussi apprécié la mise en scène contribuant largement au dynamisme de ce spectacle qui raconte la vie d’êtres sensibles et tourmentés.
La force d’un couple
L’opéra le plus connu de Tchaïkovski repose aussi en grande partie sur les épaules de Tatiana, remarquablement incarnée par Nicole Car, épouse de Dupuis. Au premier acte, la longue scène de la lettre de déclaration d’amour à Eugène est si bien chantée et jouée qu’on applaudit déjà longuement la soprano. La jeune femme pense à son bien-aimé qui, par un jeu d’éclairage, apparaît puis disparaît derrière un rideau transparent dont elle s’enveloppe. Effet visuel réussi ! Un autre beau moment de la riche mise en scène de Tomer Zvulun, supervisée, à Montréal, par Stephanie Havey, est à signaler à l’Acte II. Lorsque la querelle éclate entre Eugène et Lenski, tous les autres invités du bal s’immobilisent, figés un peu comme au cinéma, ce qui ajoute de l’impact à l’échange acrimonieux entre les deux hommes.
Contrairement à bon nombre de héros à l’opéra, Onéguine n’est pas un monstre. Il s’agit plutôt d’un homme qui a le mal de vivre et qui, de ce fait, refuse d’abord les avances de Tatiana. Par la suite, mécontent d’avoir été entraîné par Lenski dans un bal où il s’ennuie, Eugène se venge en dansant constamment avec Olga, l’amoureuse de son ami poète. Fou de jalousie, ce dernier provoque alors Onéguine en duel.
Plusieurs années, plus tard, on constate, à l’Acte III, que Onéguine est malheureux d’avoir tué Lenski. L’homme a mûri et il éprouve maintenant un amour ardent pour Tatiana. La dame lui avoue qu’elle l’aime encore, mais elle le repousse pour demeurer fidèle à son mari.
Des rôles secondaires étoffés
Parmi les rôles secondaires, soulignons l’aisance sur scène de la mezzo-soprano montréalaise Carolyn Sproule, pratiquement irréprochable en Olga. Le ténor Owen McCausland est crédible en amant jaloux, mais vocalement, il a semblé parfois à bout de voix dans le fameux air de Lenski, à la fin du deuxième acte.
De son côté, le ténor Spencer Britten, membre de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, vient détendre l’atmosphère avec sa désopilante interprétation de Monsieur Triquet, un aristocrate français maniéré ! Un peu partout dans la salle, on éclate de rire. Bien joué ! La basse russe, Denis Sedov, arrive à tirer son épingle du jeu, même si son court rôle du Prince Grémine se résume essentiellement à un air. Enfin, Stefania Toczysca (mezzo-soprano) brille en nourrice attentionnée et Christianne Bélanger (mezzo-soprano) s’acquitte bien de son rôle de mère de Tatiana et Olga.
Pour ce qui est des décors, qu’il s’agisse des grands bouleaux, ou des projections de champs de blé, ils correspondent à l’idée qu’on se fait des paysages russes. Par contre, il semble que les éclairages n’étaient pas encore au point, en ce soir de première; on a même vu un projecteur à la recherche de Tatiana !
Des musiques mieux connues qu’on pourrait croire
Même si Eugène Onéguine est loin d’être fréquemment présenté à Montréal, il y a fort à parier que plusieurs moments musicaux de cet opéra vous sont familiers, dont, le thème de l’ouverture de l’Acte II. Aussi, plusieurs magnifiques pages chorales, ici interprétées par le Choeur de l’Opéra de Montréal, ne vous sont sans doute pas inconnues. Quant à la «Polonaise» du troisième acte, elle a tout pour plaire aux amateurs de musiques de ballet de Tchaïkovski. Bref, une partition diversifiée dans laquelle l’Orchestre Métropolitain dirigé par Guillaume Tourniaire n’a pas été sans failles. Souhaitons que le manque de justesse chez les cordes ne se répète pas, au cours des prochaines représentations.
Cela dit, ce spectacle défendu par les excellents Étienne Dupuis et Nicole Car, ainsi qu’une distribution, dans l’ensemble, de haut niveau vaut le détour !
Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovski
Opéra en 3 actes
Langue : en russe avec surtitres français et anglais
Livret : Tchaïkovski et Chilovski, d’après Pouchkine
Avec : Étienne Dupuis (Eugène Onéguine), Nicole Car (Tatiana), Carolyn Sproule (Olga), Christianne Bélanger (Larina), Own McCausland (Lenski), Denis Sedov (Grémine) et Simon Chaussé (M. Guillot) et des chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal
L’Orchestre métropolitain, dirigé par le chef français Guillaume Tourniaire
Le Choeur de l’Opéra de Montréal, préparé par Claude Webster.
Mise en scène : Tomer Zvulun (directeur artistique du Atlanta Opera)
Coproduction du Lyric Opera of Kansas City, Hawaï Opera Theatre, Michigan Opera Theatre, The Atlanta Opera et du Seatle Opera
À la Salle Wilfrid-Pelletier, les 14, 17, 19 et 22 septembre 2019.