Après J’accuse, en 2015, l’auteur Annick Lefebvre poursuit sur sa lancée avec Les barbelés, créée l’an dernier à La Colline, à Paris. D’entrée de jeu, une femme troublée pèle un pamplemousse puis le presse dans sa main. Au milieu de sa cuisine, on la sent au bord de la crise de nerf et c’est ce qui va se produire. On apprend qu’elle doit se dépêcher de parler car elle sera bientôt empêchée de le faire à cause de barbelés qui s’installent dans son corps et qui vont envahir sa bouche.
Un solo violent
Mais quel est l’objet de la colère de cette femme? D’une part, elle raconte avec rage, avoir été violemment percutée quand un homme a ouvert sa porte de voiture alors qu’elle circulait à vélo. On se demande alors: pourquoi cette histoire qui a déjà été racontée des milliers de fois? Si on veut parler du partage de l’espace urbain, aujourd’hui, ne serait-il pas temps d’être un peu plus critique, par exemple, envers ces cyclistes qui foncent sur les piétons ?
Très convaincante dans le rôle de cette femme anxieuse au point d’être parfois prise de convulsions, la comédienne Marie-Ève Milot hausse le ton à maintes reprises en livrant ce monologue qui va dans de très nombreux sens, passant du sexe à la politique ! Agressée sexuellement par son père, la victime décide de se venger de celui-ci en faisant l’amour avec une femme noire sous le toit paternel. Sur un ton accusateur, le texte bifurque sur l’arrivée de réfugiés Syriens. Cette même femme qui se présente comme étant éprise de justice raconte qu’elle est allée accueillir ces nouveaux arrivants à l’aéroport et qu’elle a demandé aux journalistes de respecter leur silence, compte tenu de la fatigue du voyage. Madame trouve ensuite matière à indignation dans le fait que le reportage qui s’en est suivi ne disait pas un mot sur la douleur qu’éprouvent ces gens à quitter leur pays. Bref, les journalistes auraient dû deviner les états d’âme de ces Syriens ou mieux encore demander à leur protectrice comment faire leur travail.
On aura compris que la dénonciation, ici, ne mène pas à la libération. Après avoir vociféré pendant plus d’une heure, la victime des barbelés explose et le sang gicle dans sa cuisine. Voilà une ouverture de saison fort agressante! On a hâte de voir la suite de la programmation du Quat’Sous qui nous a donné de véritables moments de grâce, au cours de la dernière année, avec, entre autres, Le Tigre de l’Euphrate. Exprimer la douleur humaine, oui. Le culte de la victime, non.
Les barbelés.
Texte d’Annick Lefebvre.
Mise en scène d’Alexia Bürger.
Avec Marie-Ève Milot.
Au Quat’Sous, jusqu’au 26 septembre.