C’est vraisemblablement la première fois qu’on présente une pièce avec une distribution presque entièrement composée de comédien(ne)s noir(e)s, dans un théâtre francophone à Montréal. Les directeurs du théâtre Duceppe, Jean-Simon Traversy et David Laurin, écrivent ainsi une page d’histoire, un peu plus d’un an après l’annulation de Slav et l’intensification du débat sur l’appropriation culturelle.
Fidèles à la tradition de l’institution longtemps dirigée par Michel Dumont, on a puisé dans le répertoire américain pour le spectacle d’ouverture de la saison automnale. Si on connaît Tennessee Williams (Un tramway nommé Désir, La Chatte sur un toit brûlant) et Arthur Miller (Mort d’un commis voyageur, Les Sorcières de Salem), ce n’est pas le cas de Lorraine Hansberry. Cette artiste fut pourtant la première dramaturge noire à être jouée sur Broadway. A Raisin in the Sun, créée en 1959, fut d’ailleurs couronnée du New York Drama Critic’s Circle Award de la meilleure pièce. Soixante ans plus tard, on la présente pour la première fois en français sous le titre Héritage.
Ce qui frappe en entrant chez Duceppe, c’est l’immense décor, signé Eo Sharp, évoquant le quartier South Side de Chicago, au milieu du XXe siècle. Très réussi ! Les membres de trois générations de la famille Younger vivent entassés dans un minuscule appartement où le cadet doit dormir sur le sofa du salon. Son père, Walter Lee, incarné par le très convaincant Frédéric Pierre, n’en peut plus de voir les siens souffrir quotidiennement d’une telle promiscuité. Il tente de convaincre sa mère, Lena, bouleversante Mireille Métellus, de lui confier une partie de l’héritage paternel, pour se lancer en affaires. Mais, la matriarche hésite, car elle ne croit pas que l’argent puisse être une véritable source d’accomplissement. Elle veut aussi contribuer à payer les études de sa fille Beneatha; Tracy Marcellin s’acquitte bien de ce rôle de jeune femme idéaliste qui, malgré tous les obstacles, veut devenir médecin. Quant à Myriam De Verger, qu’on a déjà pu voir chez Duceppe, notamment dans la pièce Race, elle incarne, avec justesse, une épouse qui ne s’en laisse pas imposer. De son côté, le jeune Malik Gervais-Aubourg, du haut de ses 12 ans, est déjà à l’aise sur scène, mais il manque de projection dans cette vaste salle de plus de 800 sièges, dont un bon nombre étaient inoccupés, vendredi soir.
En plus d’être un événement dans l’histoire du théâtre montréalais, cette traduction signée Mishka Lavigne est, en somme, un texte muni de puissants ressorts dramatiques et défendu par de bons comédiens. Autre particularité, on enchaîne les tableaux au son du trompettiste, Jason Selman, qui joue «live» sur des bandes sonores de Mathieu Désy. Voilà un choix fort pertinent, compte tenu du fait qu’on associe d’emblée cet instrument aux musiciens noirs américains, qu’on pense entre autres à Miles Davis, ou Louis Armstrong. Par contre, la mise en scène de Mike Payette s’étend sur deux heures et demie. On pourrait resserrer, entre autres, la longue entrée en matière de la première partie. Cela dit, l’émotion et un certain suspense s’installent progressivement et on ne reste pas insensible devant les Younger.
L’art du programme de théâtre
Bravo aussi à Duceppe de nous remettre un véritable programme, où l’on se donne la peine de présenter l’auteure et le contexte dans lequel elle a écrit A Raisin in the Sun. Cela est remarquable, puisque de nombreux théâtres n’offrent plus que de simples feuillets tapissés de publicités, où l’on n’apprend rien sur le spectacle, ni sur ses artisans. Enfin, on projette sur les murs du hall d’entrée, un captivant montage de photos de la ville de Chicago, reflétant l’époque de Lorraine Hansberry, née en 1930 et décédée d’un cancer du pancréas, en 1965, à l’âge de 34 ans. On y apprend, entre autres, que l’oeuvre de la militantiste a été saluée par Martin Luther King, en plus d’inspirer à Nina Simone, la chanson To Be Young, Gifted and Black.
Héritage (A Raisin in the Sun)
Texte : Lorraine Hansberry
Mise en scène : Mike Payette
Traduction : Mishka Lavigne
Interprétation : Patrick Émmanuel Abellard, Lyndz Dantiste, Myriam De Verger, Malik Gervais-Aubourg, Tristan D. Lalla, Tracy Marcelin, Mireille Métellus, Éric Paulhus, Frédéric Pierre, Jason Selman (trompettiste)
Chez Duceppe, jusqu’au 5 octobre.