Il y a des révolutions qui éclatent au grand jour, et d’autres qui nous enveloppent sans bruit, comme une marée montante. L’intelligence artificielle appartient à la seconde catégorie. Elle est déjà partout — dans nos téléphones, nos banques, nos hôpitaux, nos écoles, dès qu’on utilise un engin de recherche — mais nous en voyons à peine les reflets à la surface. IA : l’angle mort, documentaire présenté par Noémi Mercier à Télé-Québec, choisit de braquer la lumière sur cette vague invisible.
Dès les premières images, une erreur de reconnaissance faciale. Une femme noire faussement identifiée, un quotidien bouleversé par un algorithme censé être infaillible. Ce point de départ anecdotique ouvre sur une réalité vertigineuse : l’IA, loin d’être neutre, absorbe nos biais et les démultiplie. Ce qui n’était qu’un préjugé humain devient une mécanique froide, répétée à l’échelle des sociétés.
Avec la rigueur d’une enquête et la sensibilité d’un regard humain, le documentaire donne la parole autant aux victimes qu’aux chercheurs et aux juristes qui tirent la sonnette d’alarme. On y retrouve Joëlle Pineau, figure internationale de McGill, qui détaille les promesses mais aussi les limites actuelles de la recherche en IA, et Céline Castets-Renard, experte en droit du numérique, qui expose la fragilité des garde-fous juridiques. En arrière-plan plane l’ombre de Yoshua Bengio, pionnier de l’apprentissage profond, fondateur de Mila et aujourd’hui critique des dérives de son propre domaine, au point de créer Loi Zéro pour contrer certaines logiques. Mais devant la caméra, c’est surtout Benjamin Prud’homme, juriste et représentant de Mila, qui prend la parole. Il tente d’expliquer comment un centre de recherche étroitement associé à Meta — une entreprise qui a écarté la question d’équité de ses priorités — pourra malgré tout garder le cap éthique. Un exercice d’équilibrisme qui révèle, à lui seul, toute l’ambiguïté du rapport entre recherche publique et intérêts privés.
Les exemples sont glaçants. Des femmes à qui l’on accorde moins de crédit que leurs homologues masculins pourtant identiques sur papier. Des CV écartés parce qu’ils ne correspondent pas aux standards d’emplois historiquement façonnés par des hommes. Des visages noirs mal reconnus par les caméras, avec toutes les conséquences que l’on devine en matière de justice. Des enfants catalogués à risque scolaire avant même d’avoir eu la chance d’apprendre.
Et puis, il y a cette dimension intime, presque insidieuse : les voix féminines programmées par défaut dans nos assistants vocaux, dociles et serviles; les algorithmes des réseaux sociaux qui sexualisent les jeunes filles et les enferment dans des spirales d’images toxiques; les hyper trucages, capables de fabriquer des vidéos pornographiques sans consentement. Ici, la frontière entre technologie et violence devient floue, mais terriblement concrète.
IA : l’angle mort ne prétend pas embrasser toute l’ampleur du sujet — et c’est peut-être là sa force. Le film agit comme une première secousse, une alerte nécessaire. Il montre comment une invention née en 1956 du rêve de quelques chercheurs de reproduire le cerveau humain est devenue, en quelques décennies, un instrument qui redessine nos existences sans contrôle démocratique. En fait, il aura fallu une série de documentaires sur le sujet …
La métaphore est claire : l’IA est un tsunami. Nous sommes déjà dans l’eau, ballottés par ses courants, mais nous n’avons pas encore mesuré la hauteur de la vague. Le documentaire de Noémi Mercier ne fait qu’effleurer la surface, mais il nous invite à ouvrir les yeux avant qu’il ne soit trop tard.
Équipe
- Animatrice : Noémi Mercier
- Productrices : Marie-Flo Maynard et Noémi Mercier
- Réalisatrices : Myriam Berthelet et Arianna Bardesono
- Scénaristes : Myriam Berthelet et Arianna Bardesono































































