La pièce Jamais, Toujours, Parfois, présentée au Théâtre du Rideau Vert, aborde avec doigté le sujet tabou des troubles mentaux. À travers le drame d’une jeune femme qui décide de cesser de prendre les médicaments qu’on lui prescrit depuis des années, à la suite d’un diagnostic de bipolarité, mille questions surgissent. Peut-on obliger quelqu’un à suivre les ordres de son médecin? Se tourne-t-on trop rapidement vers les pilules pour traiter les problèmes de santé mentale? Tantôt sarcastique, colérique ou fougueuse, Lauren Hartley est convaincante dans le rôle du personnage central de cette pièce, habilement mise en scène par Brigitte Poupart. Au-delà des émotions, cette histoire soulève des réflexions qui vous trotteront sans doute longtemps dans la tête.
Anna a 18 ans. Son rêve est de devenir écrivaine et elle est convaincue d’avoir des talents à la hauteur de ses ambitions. Déjà, lorsqu’elle était enfant, elle savait composer des histoires étonnantes, mais aujourd’hui, sa créativité est en panne! Est-ce que les médicaments qu’elle ingurgite depuis près d’une décennie lui ont fait perdre sa capacité d’écrire, se demande-t-elle. Plus encore, elle a des doutes sur le diagnostic qu’elle a reçu. Les symptômes qu’on a perçu comme problématiques, étaient-ils simplement le reflet d’une fillette troublée par le décès de son père?
Alors que sa vie lui semble gâchée, Anna est en colère contre sa mère qui l’a entraînée dans la spirale de la médication à laquelle son corps s’est habitué. Dans ce climat tendu, Annick Bergeron est criante de vérité en maman tiraillée par le doute, elle qui a répondu aux questions ayant mené au diagnostic fatidique. «Votre enfant fait-il des cauchemars ? A-t-il des comportements agressifs ou des propos qui vous effraient ? A-t-il une opinion exagérée de ses propres capacités ?» Il fallait répondre en cochant l’une des cases : «Jamais, Toujours, Parfois». J’ai souvent répondu «parfois», précise-t-elle. Mais comment aurait-elle pu prévoir les répercussions que cela entraînerait?
Dès la première partie de ce spectacle d’environ 2 heures 15 minutes incluant un entracte, on constate que ce texte de la dramaturge australienne Kendall Feaver expose différentes facettes d’une réalité complexe, sans porter de jugement. D’ailleurs, la thérapeute d’Anna, incarnée avec autorité par Marie-Laurence Moreau, réplique aux critiques de sa patiente avec des explications tristement réalistes. Les troubles mentaux sont si complexes qu’il est pratiquement impossible d’être certain du remède qui convient, reconnaît la spécialiste. Bref, il y a des zones d’ombre qu’on n’arrive pas à comprendre pleinement, lorsqu’il est question de santé mentale.
Progressivement, on découvre la face cachée de chacun des protagonistes de la pièce The Almighty Sometimes, traduite par Maryse Warda, dans un français qui ressemble au nôtre. Chacun a des motifs plus ou moins avoués. Par exemple, la mère d’Anna est remplie de compassion pour sa fille mais, elle cherche aussi à se délester du poids de cette enfant instable et préoccupante.
C’est ici qu’entre en scène le petit ami d’Anna que Renée voudrait bien voir devenir une sorte de tuteur pour sa descendante. Simon Landry-Désy se glisse avec justesse dans la peau de ce jeune homme réservé qui a passé une bonne partie de sa vie à prendre soin de son père malade. Doux et peut-être un peu bonasse, Olivier évite toutefois de tomber dans le piège que lui tend Renée, comme une incitation à la compassion.
Les dialogues sont bien ficelés. On passe harmonieusement de l’appartement de Renée, à la chambre d’hôpital d’Anna, etc. Les décors efficaces de Nadine Jaafar se renouvellent continuellement, grâce à un plateau tournant et aux éclairages soignés de Cédric Delorme-Bouchard.
En résumé, Jamais, Toujours, Parfois, nous plonge dans un sujet sérieux mais teinté d’humour. Les réactions explosives et souvent imprévisibles d’Anna sont telles qu’on avance dans cette histoire comme dans une sorte de thriller psychologique. On ne peut que compatir avec cette jeune fille malheureuse mais, la souffrance donne-t-elle tous les droits à ceux qui la vivent, au détriment de ceux qui les entourent? À défaut de fournir des réponses, cette pièce a le mérite de soulever des questions courageuses et pleinement d’actualité. Réussi!
Jamais, Toujours, Parfois
Traduction par Maryse Warda de la pièce The Almighty Sometimes, de Kendall Feaver
Mise en scène: Brigitte Poupart
Avec: Annick Bergeron, Lauren Hartley, Simon Landry-Désy et Marie-Laurence Moreau
Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu’au 13 avril