La nouvelle pièce de Jean Marc Dalpé (auteur de Trick or treat et Août – Un repas à la campagne) a le mérite de mettre en lumière les raisons souvent inavouées qui viennent réveiller les haines familiales, au moment du partage de l’héritage des parents.
Marie-Élizabeth (Marie-Thérèse Fortin), pianiste de concert, dont la mère vient de mourir, veut vendre au plus vite son héritage, l’hôtel-motel La Queens’. Sa soeur Sophie (Dominique Quesnel), chanteuse de cabaret, est prête à tout pour l’en empêcher.
Fortin soulève de francs éclats de rire avec son personnage grandiloquent de pianiste acclamée sur la scène internationale et désireuse de couper tous les liens avec le patelin de son enfance. S’il est vrai que les hommes ont des racines, ils ont aussi des jambes pour leur permettre d’avancer, lance-t-elle avec condescendance. Faisant solennellement l’éloge d’Icare et de l’ascension vers la lumière, la grande dame s’écarte pour un moment des bonnes manières en assénant un «bullshit» bien senti à ceux qui prétendent que la beauté est partout. À ses yeux, la beauté est absente de sa région natale, quelque part dans le nord de l’Ontario, où le mercure descend vertigineusement et où les arbres sont rachitiques. De son côté, Quesnel est criante de vérité dans son rôle d’enfant qui veut rester à la barre de l’entreprise familiale, en partie par respect pour ses parents qu’elle a accompagné jusqu’à la fin, même en se sentant depuis longtemps éclipsée par sa soeur artiste. Cette dernière ne se présentera d’ailleurs pas aux funérailles, étant en concert à Saint-Pétersbourg. Ah! Les Russes, dira-t-elle, quel public intelligent! Ce n’est pas Valleyfield, ni Drummondville! Marie-Élizabeth a toutefois délégué sa fille Caroline (Alice Pascual) auprès de Sophie pour tenter de dénouer l’impasse.
Quesnel et Fortin offrent de très solides performances, mais, malgré une mise en scène parfois ingénieuse, on regrette que les deux soeurs ne se rencontrent jamais, ce qui a pour effet que le spectateur reste sur sa faim. Quant à Pascual, on a peine à croire à la détresse psychologique dont elle souffrirait, notamment, à cause de sa relation difficile avec sa mère. Pour ce qui est de Moussa (Hamidou Savadogo), d’abord allié de sa conjointe Sophie dans cet inquiétant duel avec Marie-Élizabeth, on se demande pourquoi il change soudainement de camp. David Boutin est convaincant dans son rôle d’acheteur sans scrupules,
Au bout du compte, l’auteur franco-ontarien de La Queens’ ramène une question fort d’actualité devant le débat sur l’apparent recul du français en Ontario: faut-il rester attacher à ses origines où, au contraire, s’en détacher ?
La Queens’
Texte: Jean Marc Dalpé
Mise en scène: Fernand Rainville
Avec: David Boutin, Marie-Thérèse Fortin, Alice Pascual, Dominique Quesnel et Hamidou Savadogo
À La Grande Licorne, jusqu’au 23 février
Sur la photo: Dominique Quesnel et Marie-Thérèse Fortin dans La Queens’