Ne sommes-nous pas intrigués, voire fascinés, par ce qui animait les êtres, juste avant de quitter ce monde? Imaginer ce à quoi pensait quelqu’un d’important pour nous juste avant de mourir; savoir ce qui était demeuré l’essentiel pour lui jusqu’à la fin. L’auteur français Laurent Gaudé a trouvé une matière à réflexion d’une grande richesse, à ce chapitre, en imaginant ce qui animait Alexandre le Grand, aux derniers instants de sa vie.
Pendant que nous les spectateurs prenons place, le roi de Macédoine est déjà assis derrière ce qui s’apparente à un tombeau. Emmanuel Schwartz murmure alors comme un homme à l’agonie. Il demande qu’on le laisse en paix. Il veut passer ses derniers instants en parlant à la mort. Il racontera avec ivresse ses exploits militaires, sa cruauté envers l’ennemi et son insatiable envie de conquérir. On se sent concernés par ses propos car les forces qui le portent et aussi le déchirent sont loin d’être étrangères à celles qui nous habitent.
Narguant Dieu, en lui disant qu’il n’a pas besoin de lui pour demeurer immortel, Alexandre le Grand se fait une fierté de souligner qu’il s’est occupé lui-même de son immortalité dans l’histoire. Puis il y a la troublante symbolique du Tigre bleu pour cet homme qui s’est toujours laissé guider par ses exigeants désirs; ce conquérant qui n’a jamais cessé de vouloir avancer, en acceptant d’en payer le prix.
Emmanuel Schwartz sait se transformer progressivement pour traduire dans le ton et le geste ces états d’âme du mourant: peine, colère, fulgurants regains d’énergie, rage. L’acteur est saisissant!
Autour de lui, des rideaux sur lesquels sont projetées des vidéos de Stéphanie Jasmin, évoquent les humeurs de ce héros parfois monstrueux ou des paysages associés aux scènes qu’il raconte.
La mise en scène de Denis Marleau sert bien cet ultime moment de vérité d’un homme en ne cherchant à attirer notre attention que sur l’acteur et son lit ou son tombeau. La musique de Philippe Brault parvient à ajouter encore de la puissance aux moments d’une force pourtant extrême de cette agonie.
Le seul bémol de la soirée réside, à mon sens, dans les toutes premières minutes du spectacle alors qu’on peine à saisir des mots de l’acteur qui est assis dos au public et parle presque tout bas.
Mais, il n’en reste pas moins qu’avec ce texte, cet acteur et cette mise en scène, on assiste à un moment de théâtre d’une exceptionnelle qualité.
Le Tigre Bleu de l’Euphrate, au Théâtre de Quat’Sous, jusqu’au 26 mai. http://www.quatsous.com/
Crédit photo d'Emmanuel Schwartz: Yanick Macdonald