Lorraine Pintal termine son règne de plus de 30 ans à la direction du Théâtre du Nouveau Monde, avec la mise en scène d’une tragédie féministe qui laisse perplexe. Très librement inspirée par Lysistrata d’Aristophane, Lysis, de Fanny Britt et Alexia Bürger, a pourtant été longuement mûrie, puisqu’elle devait être présentée en 2020 et qu’elle a été reportée deux fois à cause de la pandémie. Après toutes ces années, madame Pintal a confié à La Presse qu’elle s’est interrogée à savoir si le propos de Lysis restait pertinent. On ne peut que partager ses doutes, après avoir assisté à ce spectacle terne et simpliste.
Lysis occupe un poste de recherche dans une entreprise pharmaceutique dirigée par un groupe d’hommes. Ces derniers refusent d’arrêter la vente d’un médicament contre l’infertilité qui entraîne des effets secondaires sur la santé mentale et qui aurait contribué à ce que des femmes se suicident. Déterminée à renverser cette situation, la chercheuse démissionne et elle lance, avec son groupe féministe, une grève de la natalité. Du jour au lendemain, les militantes convainquent les femmes de cesser de donner naissance durant quatre ans, ce qui «paralyse le pays», nous dit le programme du spectacle.
Déjà là, on note des prémisses chancelantes! La planète étant depuis longtemps surpeuplée, serait-il si dramatique de procréer moins? D’autre part, brandir le suicide comme symbole d’inéquité envers les femmes a quelque chose d’indécent, alors qu’on sait que trois fois plus d’hommes que de femmes se suicident au Québec. Bref, il est difficile de croire à l’histoire invraisemblable de Lysis, malgré l’ardeur de Bénédicte Décary à jouer ce rôle.
Dans cette fiction tordue, il est aussi question d’études dévastatrices sur les effets néfastes du médicament en cause; études que le méchant boy’s club aurait réussi à cacher au public. Bien sûr, ces mâles obsédés par le capitalisme se foutent de la santé de leurs clientes et n’ont jamais songé à corriger les lacunes de leurs produits!
En fait, les personnages masculins conçus par mesdames Britt et Burger sont si caricaturaux qu’ils ont déclenché des rires dans la salle, à quelques reprises, en ce samedi après-midi (11 mai). Pour sa part, Jacques L’Heureux hérite d’un rôle de PDG despotique qui a tout faux. De son côté, Jean-Philippe Perras est un premier ministre tellement superficiel et ridicule dans sa gestuelle qu’on le sait condamné d’avance, lui aussi, quoi qu’il dise. En fait, sommes-nous au théâtre ou au tribunal?
Parmi les phrases récurrentes de cette longue plainte féminine contre les hommes : «Ils font le monde sans nous!» N’est-ce pas là une autre affirmation déphasée, alors que, de nos jours, les concepts EDI (Équité, Diversité, Inclusion) se traduisent par l’exclusion de candidats masculins blancs, entre autres, dans nos universités?
Portée par un tel délire victimaire, l’une des militantes ira assassiner dans son bureau le patron de la compagnie pharmaceutique maudite. Après avoir éliminé ce monstrueux indésirable, Myra (Olivia Palacci) vient claironner cette avancée, munie d’un porte-voix! Que penser de ce moment de théâtre? Édifiant? Haineux?
On peut aussi se questionner sur la présence de trois musiciennes sur scène dans cet univers dramatique, où une militante mourra lors d’une manifestation. Bien que soignées, les musiques originales de Philippe Brault passent plutôt inaperçues. Et que dire des «chorégraphies» de Jocelyne Montpetit qui donnent parfois l’impression de voir un groupe d’enfants suivre servilement le grand méchant PDG (L’Heureux)? Ne serait-il pas plus approprié de parler d’une mise en mouvement somme toute assez rudimentaire?
Malgré sa distribution imposante, réunissant quatorze comédiennes et comédiens, ce spectacle ambitieux ne tient pas ses promesses. Où est l’émotion? Par exemple, après une longue période de rupture, Lysis retrouve son amoureux qui lui déclare: «Je suis revenu parce que je t’aime». Sans dire un mot sur ce moment de retrouvailles qu’elle prétendait pourtant espérer, la jeune femme passe aussitôt à un autre sujet! Texte mal ficelé?
Enfin, si l’on retient quelque chose de cette sombre pièce, c’est bien la scène où les comédiennes fredonnent ensemble Une sorcière comme les autres d’Anne Sylvestre. «Quand vous mourriez sous les bombes Je vous cherchais en hurlant…» chantait la défunte auteure-compositrice française. Voilà une réalité qui guette, tous les jours, les hommes ukrainiens forcés de défendre leur pays, alors que les femmes peuvent aller vivre ailleurs, si elles le souhaitent. N’y aurait-il pas là un riche sujet pour les autrices et auteurs épris des questions d’équité hommes-femmes telles qu’elles se présentent aujourd’hui?
Lysis
Une création de Fanny Britt et Alexia Bürger
Mise en scène Lorraine Pintal
Avec: Bénédicte Décary dans le rôle-titre et 13 autres comédiennes et comédiens, en plus de trois musiciennes.
Au TNM, jusqu’au 1er juin 2024
Durée: 1h 50 sans entracte