Marc-Antoine d’Aragon est une figure bien connue de la scène culturelle québécoise. Chanteur d’opéra lui-même, il a su mettre sa passion au service de la relève en dirigeant l’Institut Canadien d’Art Vocal (ICAV) et le Festival d’Art Vocal de Montréal (voir la programmation) qui s’y rattache.
D’Aragon s’est également démarqué par son engagement envers la formation et le développement de jeunes talents lyriques. Il a exploré d’autres avenues artistiques, notamment avec le groupe La Bohème, ainsi qu’un Hommage à Jean-Pierre Ferland, démontrant sa polyvalence et son amour pour la musique sous toutes ses formes.
Il est également à l’origine de Centrart.org, une plateforme web visant à faciliter la gestion pour les chorales et autres organisations artistiques. Père de famille, il s’investit localement dans sa carrière, préférant rester au Québec pour profiter de ses enfants. Sa fille Elza, âgée de 9 ans, suit d’ailleurs ses traces et fera partie des jeunes artistes de La Flûte enchantée cette année.
SP : Qu’est-ce qui distingue l’ICAV des autres programmes de formation lyrique dans le monde?
Marc-Antoine d’Aragon : Contrairement à d’autres programmes qui se déroulent souvent dans des universités ou sont axés sur des artistes canadiens (comme Orford, Domaine Forget, Banff ou Halliburton), l’ICAV, qui célèbre cette année sa 21e édition, attire des jeunes artistes du monde entier – environ 30 par an. Nous accueillons des chanteurs, bien sûr, mais aussi des pianistes et des chefs d’orchestre, offrant ainsi un spectre complet de l’opéra. Depuis 2020, nous avons étendu notre offre pour inclure ces disciplines, répondant à un besoin évident de formation pour les pianistes accompagnateurs et les jeunes chefs. De plus, nous offrons un environnement où les jeunes artistes, âgés de 25 à 35 ans, peuvent perfectionner leur art en travaillant avec des spécialistes de renommée internationale, comme Christian Limmer pour la diction allemande, et profiter de tribunes uniques, telle que l’audition publique diffusée sur le web. Ce qui nous distingue fondamentalement, c’est que nous payons nos jeunes artistes, au lieu de leur faire payer la formation.
SP : L’ICAV met l’accent sur le développement de carrière, pouvez-vous élaborer sur cette approche ?
Marc-Antoine d’Aragon : Nous recevons environ 280 candidatures pour seulement 21 places. Au-delà de la formation vocale, notre mission est d’être un véritable tremplin professionnel. Nous offrons une formation en gestion de carrière, des démos audio et des photos de casting professionnelles. Nous avons même un agent d’artistes qui travaille directement avec les jeunes pour peaufiner leur CV et les préparer à entrer dans le monde professionnel, en leur offrant la perspective des agents.
SP : Comment se déroule le processus de sélection des artistes pour l’ICAV?
Marc-Antoine d’Aragon : Le processus de sélection est rigoureux et mené par un comité artistique d’exception. Il comprend des personnalités comme Étienne Dupuis, un des plus grands barytons au monde, dont la carrière florissante lui permet d’apporter une perspective inestimable sur les exigences du métier. Nathalie Deschamps, metteure en scène reconnue pour des productions comme Albertine en cinq temps et La Flûte enchantée, apporte son expertise scénique. Esther Gauthier, une coach vocale très demandée, reçoit des appels de partout au Canada pour son œil artistique aiguisé. Enfin, Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal, vient apporter la perspective des maisons d’opéra, assurant que nos jeunes répondent aux besoins actuels de l’industrie.
SP : Vous avez mentionné une relation étroite avec les maisons d’opéra. Pouvez-vous en dire plus sur cette collaboration?
Marc-Antoine d’Aragon : Nos liens avec les maisons d’opéra se concrétisent notamment via notre comité artistique, où la présence de Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal, est essentielle. Nous utilisons également des portails d’audition web comme Yaptracker et Audition Oracle, où nous soumettons nos offres d’audition, et les médias sociaux, pour atteindre un large éventail de jeunes talents.
SP : Avec 300 candidatures pour seulement 21 places, comment décririez-vous le niveau d’excellence de cette cohorte 2025?
Marc-Antoine d’Aragon : Le niveau d’excellence de la cohorte 2025 est exceptionnel. La forte proportion de candidatures par rapport au nombre de places témoigne de la réputation de l’ICAV et attire les meilleurs jeunes talents du monde entier. Nous avons des jeunes qui, malgré leur fin de maîtrise, n’ont pas encore eu l’occasion de travailler un répertoire lyrique approfondi. Grâce à nos spécialistes venus de partout, comme Christian Limmer de l’Opéra Bastille pour la diction allemande ou Tracy Dull, nous sommes en mesure de leur offrir une formation de pointe. Le fait que nous payions nos jeunes artistes attire également des talents qui n’auraient pas pu se permettre une telle formation, garantissant que la sélection est basée uniquement sur le talent et le potentiel.
SP : Cette année, l’audition publique avec orchestre sera diffusée en direct sur le web. À quel point cet aspect numérique change-t-il la donne pour les jeunes artistes?
Marc-Antoine d’Aragon : La diffusion en direct de l’audition publique avec orchestre change considérablement la donne pour nos jeunes artistes. C’est une tribune unique qui leur offre une visibilité mondiale. Les directeurs de casting, les agents et les maisons d’opéra partout sur la planète pourront sélectionner les talents qu’ils souhaitent suivre. La collaboration avec l’Orchestre de la Francophonie pour l’accompagnement ajoute également à la qualité de cette expérience.
SP : Vous démocratisez l’accès à la formation. Pourquoi est-ce si important pour vous — et comment y parvenez-vous concrètement à l’ICAV?
Marc-Antoine d’Aragon : La démocratisation est essentielle pour que l’accès à une formation de haut niveau ne soit pas réservé aux plus aisés ou à ceux qui bénéficient de bourses importantes. Concrètement, cela signifie que nous logeons et nourrissons nos artistes et couvrons leurs frais de transport, faisant de l’ICAV une option viable pour tous les talents, quelle que soit leur situation économique. Ce modèle est rendu possible grâce à l’engagement financier de grandes fondations privées, comme la Fondation Azrieli, Power Corporation, et la succession de Jacqueline Desmarais, ainsi que le soutien continu de donateurs individuels comme Vanda Tryser, une amoureuse de l’art lyrique qui a compris l’impact de notre travail et fait un don annuel de 50 000 $, souvent jumelé avec d’autres fondations. Nous espérons à l’avenir obtenir le soutien du Conseil des Arts pour augmenter encore notre budget et notre portée.
SP : Comment sélectionnez-vous les mentors de chaque édition?
Marc-Antoine d’Aragon : La sélection de nos mentors* est un processus méticuleux. Nous recherchons des artistes et des pédagogues qui ont une carrière active et reconnue, mais aussi une passion pour la transmission et une approche pédagogique adaptée à la jeune relève. Par exemple, Christian Limmer est reconnu pour sa diction allemande, et Renaud Doucet, metteur en scène de renom, vient coacher les jeunes sur l’aspect scénique. Nous avons également Claude Webster, chef de chœur de l’Opéra de Montréal, qui travaille sur la libération du stress et l’approche mentale, un aspect crucial pour la performance.
SP : Quel est l’impact, selon vous, d’un mentor comme Claude Webster sur la préparation mentale de ces jeunes talents?
Marc-Antoine d’Aragon : C’est absolument fondamental. Sa spécialité est d’aider les chanteurs à se libérer du stress et des blocages, une approche unique et extraordinaire. Le trac, la pression des auditions et de la performance peuvent être dévastateurs pour un jeune artiste. Claude Webster leur enseigne des techniques pour gérer ces émotions, se connecter à leur corps et leur voix de manière plus profonde, et ainsi exprimer pleinement leur potentiel artistique.
*Les mentors
Julien Proulx, chef de l’Orchestre symphonique de Drummondville,
Tom Jaber, chef d’orchestre, pianiste, coach vocal, de la Shepherd’s School of Music, Université Rice (Houston, Texas),
Mathieu Pordoy, pianiste – chef de chant et conseiller de l’Opéra comique de Paris,
Henry Ingram, agent, Dean Artists Management de Toronto,
Francis Perron, pianiste – chef de chant , Université de Montréal,
Tracy Dahl, soprano et professeure de chant, Faculté de musique Desautels, Université du Manitoba, à Winnipeg
Ariane Girard, mezzo-soprano et professeur de chant, Université de Montréal.
Site web de Marc-Antoine d’Aragon.
Programmation en bref – https://www.icav.ca/
- 2 juillet : Classe de maïtre avec Claude Webster, chef des chœurs de l’Opéra de Montréal – Salle Claude Champagne – 19h30
- 9 juillet : Concert à Verdun
- 13 juillet : Audition publique avec l’Orchestre de la Francophonie (diffusée en direct sur le web)
- 17 juillet : Coaching scénique avec Renaud Doucet
- 19-20 juillet : « Opéra Invasion » au club de golf de Magog
- 24 juillet : Gala d’Opéra, dirigé par de jeunes chefs et accompagné par de jeunes pianistes
- Fin de festival : Représentation de La Flûte enchantée, avec la participation de la fille de Marc-Antoine d’Aragon, Elza, dans un rôle d’enfant.































































