La pièce de Tchekhov Platonov (Amour, haine et angle morts) qui a séduit le public du Prospero en 2019, y revient avec un nouvel atout majeur ! L’adaptation en version québécoise de Michel Tremblay apporte au texte une résonance qui nous aide grandement à entrer dans l’univers de l’écrivain russe. De ce fait, même si la mise en scène et la distribution sont les mêmes qu’il y a deux ans, le spectacle s’en trouve renouvelé.
Séduction
D’entrée de jeu, la mise en scène nerveuse de Angela Konrad donne le ton. Les personnages s’avancent un à un sur scène un peu comme s’il s’agissait d’un défilé de mode. Leurs pas bruyants sont amplifiés. Leurs regards semblent parfois défier le public. Une histoire de séduction et de déchéance va commencer chez Anna Petrovna, incarnée par une Violette Chauveau magistrale. Bien que ruinée, cette veuve d’un haut gradé militaire maintient la tradition d’inviter à son manoir, des amis et membres de sa famille.
Parmi les convives, il y a Platonov, enjoué, blagueur et séducteur, porté par le fougueux Renaud Lacelle-Bourdon qui à lui seul vaut déjà le déplacement. Bien que marié, ce membre déchu de la petite noblesse russe qui s’est résigné à devenir instituteur, multiplie les conquêtes amoureuses.
Désillusionnés, ces personnages de Tchekhov expriment leur lassitude avec des mots d’ici : «C’est plate!» De son côté, Platonov dira de son épouse Alexandra (Debbie Lynch-White) : «C’t’une vraie p’tite fille de campagne!»
N’en déplaise à certains, ces Russes ne s’expriment plus dans un français de France. Tremblay a fait sauter ce décalage culturel et il a réussi à tout transposer en langue québécoise, sans aller jusqu’au joual à proprement parler. Résultat : le courant passe !
Ni tout à fait noir, ni tout à fait blanc
Habité d’un profond mal de vivre, Platonov s’amuse à séduire puis à laisser tomber ses conquêtes. Il va aussi confronter tour à tour les invités, sans ménagement, en les plaçant devant leur réalité bien souvent dissimulée sous des masques plus ou moins convaincants. Bref, personne n’est tout à fait noir, ni tout à fait blanc dans cet univers inquiétant.
Et Platonov n’est pas le seul à vouloir posséder le coeur de l’autre. Anna (Chauveau) semble frôler la folie, tant elle rage de ne pas pouvoir dominer les sentiments de Platonov. Ce dernier n’est pas non plus le seul à être capable d’une grande cruauté. Sofia (Marie-Laurence Moreau) utilise son mari , pour tenter d’oublier Platonov, mais lorsque le désir la reprend, elle se fout complètement du pauvre Sergueï (Olivier Turcotte), prêt à toutes les humiliations pour sauvegarder son couple.
Cette même Sofia va jusqu’à commettre l’irréparable, comme si sa vanité et ses souffrances lui donnaient le droit d’abattre Platonov, lorsqu’elle réalise qu’il ne lui appartiendra jamais. Plusieurs coups de feu vont retentir avant que l’objet de ses désirs ne s’affaisse devant la meurtrière impassible.
Une mise en scène puissante jusqu’à la fin
Après cette scène d’une grande violence, trois des femmes qui ont aimé Platonov se couchent sur son cadavre, pendant qu’on écoute la chanson Ordinary day (Perry Blake) : «It’s just an ordinary day / Nothing much to laugh about / Nothing much to cry about». Dans un élan de cynisme qui s’arrime bien à ce ce monde tchekhovien, les personnages vont jusqu’à chanter les «wa ba da ba da / I need you wa ba da ba da… Who loves you wa ba da ba da?
Qui aimons-nous ? Qui nous aime vraiment ? Qu’est ce que l’amour ? Grâce à Konrad et Tremblay, ce Platonov nous expose sans détour aux questions intemporelles de Tchekhov. Très réussi !
Platonov (Amour, haine et angle morts)
D’après Anton Tchekhov
Mise en scène, adaptation, conception des costumes et espace scénique : Angela Konrad
Adaptation en version québécoise : Michel Tremblay
Interprétation : Renaud Lacelle-Bourdon, Violette Chauveau, Marie-Laurence Moreau, Samuël Côté,
Olivier Turcotte, Debbie Lynch-White, Pascale Drevillon, Diane Ouimet
Au Théâtre Prospero, jusqu’au 11 décembre
Détails et billets : Prospero