Récitals remarquables de la relève musicale actuelle
Notre époque regorge de musiciens splendides et de talents remarquables de sorte qu’on peut estimer que la relève qu’assurent nos jeunes artistes d’aujourd’hui remplace tout à fait les titanesques interprètes d’hier. Ceci signifie qu’il faille non pas remettre sur le marché de vieux enregistrements mais d’en faire naître de nouveaux avec ces jeunes musiciens. Par exemple, le Quatuor Escher donnait un récital remarquable au Ladies Morning Musical Club à la salle Pollack dimanche le 24 février dernier, avec le Quatuor à cordes en do majeur opus 20 no.2 de Joseph Haydn, le Quatuor à cordes en mi mineur de Bedrich Smetana et enfin le Quatuor à cordes en fa mineur opus 41 no.1 de Robert Schumann. Dire que c’était l’absolue perfection donnerait tout à fait la mesure du niveau de cet ensemble né en 2005.
La réputation grandissante du quatuor permet désormais aux violonistes Adam Barnett-Hart et Danbi Um (ce dernier remplace Wu Jie et Aaron Boyd entendus à McGill au MISQA 2017), l’altiste Pierre Lapointe et le violoncelliste Brook Speltz de mener une brillante carrière. On a eu connaissance de leurs enregistrements sur Naxos de l’intégrale des quatuors du compositeur viennois Alexander Zemlinsky (1871-1942) mais cet ensemble aurait (s’il évoluait dans les années 70-80) déjà enregistré tout autant que le jadis fameux Quatuor Amadeus par exemple. D’autres musiciens de chambre méritent de voir souligner leurs accomplissements sensationnels.
Le premier violon solo de l’OSM, Andrew Wan forme un couple d’une excellence inouïe avec Charles Richard-Hamelin dans ce début de l’intégrale projetée des dix sonates pour violon et piano de Beethoven. Le disque Analekta (28794) comportant les trois sonates pour piano et violon opus 30 dédiées au tsar Alexandre 1er à l’époque où Napoléon n’était pas encore le nouveau noble arriviste qu’il projetait devenir sont jouées avec une absolue maîtrise de la partition et une élégance que même la version comparative de référence (celle de Arthur Grumiaux et Claudio Arrau parue chez Phillips 9500220) n’arrive pas à équivaloir! Imaginez la stature de ce modeste compliment!
La sublime prise de son, l’excellence des interprètes canadiens surtout, relèguent aux oubliettes les versions de ces trois sonates que j’ai réécoutées pour l’exercice avec en vue les partitions. Tout aussi phénoménale voire encore plus prenante est l’interprétation des trois sonates pour piano et violon de Brahms (opus 78. opus 100 et opus 108) réalisée par la pianiste polonaise Joanna Zathey accompagnant son compatriote violoniste Jaroslaw Nadrzycki, un artiste membre du fulgurant Trio Penderecki nouvellement formé à l’honneur du compositeur. Jaroslav Nadrzycki est un violoniste de très grande tenue expressive au son riche, subtil, passionné et nuancé.
La pianiste Joanna Zathey l’accompagne en pure merveille. Ils éclipsent tous deux tout à fait, et tenez-vous bien, les versions habituelles de référence choisies soit celle pourtant inoubliable des regrettés David Oistrakh au violon et Svjatoslav Richter au piano (Chant du Monde Cm460 Melodya SR40268) tant pour les sonates no.2 et 3 que celle de la première sonate si bien jouée pourtant par le violoniste Kristof Barati (Brilliant Classics 94860/10) et la pianiste Klara Wurtz qui endisquait jadis chez Piano Classics. La qualité de ces deux artistes polonais mérite tout à fait leur invitation au Ladies Morning Musical Club afin de prendre leur place au sein des nouveaux et très très grands interprètes.
Un autre monde méritant invitation est celui des jeunes pianistes italiens (Giovanni Bellucci, Emanuele Delucchi, Vincenzo Maltempo) et je ne pense pas seulement à l’exceptionnelle et sensible Béatrice Rana, mais cette fois à un prix spécial du jury au dernier concours international de piano Van Cliburn, soit Leonardo Pierdomenico. il nous offre chez Piano Classics (PCL10151) un album Liszt d’oeuvres rarement endisquées (sauf par les immensément grands) soit les deux Ballades, La Romanesca mais surtout un Scherzo et une Marche dont la durée de près de treize minutes ouvre le récital de l’artiste avec une dextérité et une maîtrise époustouflantes. Il s’y trouve aussi les Deux Légendes de Liszt soit celle intitulée La prédication aux oiseaux de saint François d’Assise et saint François de Paul marchant sur les flots. Mes versions comparatives sont celles avec Alfred Brendel (Philips 6514147), Wilhem Kempff (ffrr-mono et TurnaboutTVS34385) et enfin Louis Kentner (Turnabout3422425) et George Cziffra (Worlds SeriesPHC9005).
Il est évident que d’égaler l’interprétation de Brendel et Kempff relèverait de l’exploit olympique à un si jeune âge quand on ose comparer des titans au sommet de leur art comme Cziffra avec Pierdomenico qui n’a qu’à peine 25 ans. Mais le Scherzo et sa Marche laissent une telle vive impression de son talent et de sa maîtrise sonore qu’il en va de même pour la seconde Ballade (-qui fait le double en durée et en musique que la première Ballade de Liszt-) Tout cet émerveillement est à tel point qu’on est poussé par la curiosité d’en savoir plus sur cet artiste dont nous avions élogieusement parlé dans nos pages (lors de notre couverture du dernier concours Van Cliburn). Notamment de son interprétation inégalée à ce jour, à mon avis, des Variations sur un thème de Paganini, oeuvre de Johannes Brahms qu’il aurait dû endisquer bien avant ce Liszt un peu rarissime et tout pétri d’épique héroïsme en envolées parfois bien tonitruantes telles que ces oeuvres sont écrites. Pierdomenico est un artiste à tempérament poétique et expressif comme Ivan Moravec le fut et c’est vers ce genre de répertoire intimiste et expressif que ses futurs disques devraient se diriger. Moravec était également un immense virtuose avec ses deux concertos pour piano et orchestre de Brahms (avec l’orchestre tchèque) si peu diffusés mais qu’il est le seul à égaler aux versions de Richter, Fleischer ou Gilels. Néanmoins, il est grand temps que nos salles de concert fassent place à toute cette jeunesse talentueuse dont je ne cesse de vous parler avec un enthousiasme qui frise le fanatisme, pardonnez-le moi!