Quiconque aura préalablement lu le livre de Jean-Philippe Pleau intitulé Rue Duplessis Ma petite noirceur entendra pendant 95 minutes sans entracte, en format de narration radiophonique, une quantité appréciable des épisodes du fameux livre publié chez Lux et qualifié Coup de Coeur des librairies Renaud-Bray.
Les moments des dits traumatismes de l’enfance du protagoniste ont été sans doute choisis par l’auteur et les concepteurs du spectacle présenté au Théâtre Duceppe avec M. Pleau au microphone d’animateur-radio jouant ultimement quelques scènes.
Pas de grand jeu d’acteur
Steve Laplante et Michel-Maxime Legault jouent la plupart des fragments de sketchs illustrant tel ridicule familial ou une brimade d’enfance tenant rôle de haute souffrance, soit un peu plus que la lecture de vétilles s’accumulant, en effet, au fil de son adolescence aussi.
La narration — quoiqu’elle soit souvent en soliloque et sans jeu scénique effectif — reprend presque l’essentiel du livre en un décor de bungalow s’ouvrant par portes coulissantes vers le garage d’un char obligatoire à la campagne.
Propos d’homophobies occultés
La pièce est passablement purgée des multiples scènes d’homophobies probantes dans son livre (celles dont est victime son oncle par exemple) soit des insultes jaillissant souvent en déversoir ce qui donne le sentiment qu’il fut au moins le témoin accablé d’une épithète sans véracité flagrante, sans doute une banalité totale au Québec profond du Drummondville d’hier et d’aujourd’hui.
Certains ne verront pas en quoi il fut — hormis en contexte scolaire ou sous emprise d’autorité paternelle excessive — avoir été — avec intention soutenue de cruelle persécution — immensément maltraité ou victime à ce sujet-là.
Être bafoué ou terrorisé jusqu’au criant maléfice n’a pas disparu, hélas : heureusement son ascension sociale au sein de la société radio-canadienne confirme que l’Éducation québécoise l’a sauvé de la stagnation loin de ce piètre milieu où se sont amuïs d’étonnement consenti, sans doute, ses parents toujours vivants.
Une pièce pour élargir la plaie?
On ne peut résister longtemps aux questions qui ébranlent ce château de cartes de traumatismes maintenant confronté à des poursuites judiciaires par sa famille révoltée on imagine l’ambiance, car l’auteur nous en informe au début et à la fin de ladite pièce : où est le véritable événement pathétique et où y a t-il eu une si secouante souffrance qu’on doive la diffuser au-delà des 320 pages du livre initial?
Pour les assoiffés de toute péripétie théâtrale, restez-en bredouilles, la souffrance d’incompréhension empire, semble t-il.
Quelle est l’utile rédemption?
À vrai dire, assiste-t-on à une juste amplification rédemptrice des torts que cause tout partout sur la Terre la fameuse ignorance accablant tout être dès sa naissance où que cela soit sur Terre?
Cette souffrance profonde est-elle toujours recevable? Mais on dramatise sur quoi de béant ici sinon devoir sortir d’une classe d’ignares? À la lumière de la vie de tant d’enfants battus, torturés et abusés avec violence, on tergiverse à vouloir répondre.
Drame ou triomphe?
Une migration hors de sa classe sociale, le plus souvent vers un meilleur horizon comme c’est ici le cas, semble un progrès. Vaut-elle un tel épanchement larmoyant sur son passé étalant des décalages parentaux notamment ceux entre mâles plus ou moins rudimentaires jusqu’à faire semblant que les dénoncer attestait au fond d’une preuve d’amour blessé?
Un modèle carcéral à Radio-Canada?
À bien y réfléchir, on se demanderait ceci : souffrant, Jean-Philippe Pleau est-il, en plus, prisonnier d’un monde médiatique exerçant une coercition de l’opinion ou du savoir minimal à détenir sous peine de sarcasmes?
Est-il tenu en cette enceinte de faire plus que de vastes efforts d’articulations de phonèmes (il s’en plaint des cours de diction obligatoires durant 18 mois que l’Employeur lui imposa jadis)?
Pire, est-il en proie à l’Inquisition de « bien tout savoir », là par-dessus tout, à propos de cent idées reçues? Jusqu’à acquiescer à des opinions ou analyses un peu biaisées de la géopolitique actuelle ou à des prises de positions victimaires ou obligées en choeur avec une meute radiophonique aux aguets blanchie à l’avance de tout soupçon de désinformation?
Ceux qui informent jamais ne déforment?
Appartenir à la confédération soi-disant informée ou informante — toujours ex cathedra — lui est-il pénible? Alors, si c’est le cas, l’émigré (il dit et écrit « immigré de classe », c’est plutôt en sens inverse) de classe a peut-être de vraies souffrances migratoires à étaler qui expliqueraient mieux ce mal être d’être sorti de Drummondville pour aboutir en un lieu cru meilleur ou espéré si sublime, une atmosphère médiatique en réalité conflictuelle où penser autrement avec intégrité exigerait dans les faits de ne pas diffuser ce que dicte la haute direction fort politique de ces hauts lieux?
Je m’interroge sans rien pouvoir dénouer ici.
Bien loin du ton de la torture
Tout comme son livre, la pièce dénonce aussi une hypocondrie maternelle et médicale sans compétence : il me semble que Jean-Philippe Pleau mériterait de poursuivre la recherche d’un potentiel malaise intérieur actuel le livrant à renier en dérision un peu ratée, sur la place publique, ce petit monde ordinaire d’hier ou de jadis qui l’aurait, dit-il, surmédicamenté.
Je ne défends pas son patelin natal qui, à mon avis de lecteur et d’auditeur de ladite pièce, ne lui a pas voulu bien grand mal très pervers à l’aune de ce qui se passe ailleurs sur Terre, en sociétés autrement plus haineuses et dépourvues de jugement que la nôtre.
Au final, un petit pèlerinage vers Jérusalem s’impose t-il? Façon de parler, tant au sens propre qu’au sens figuré. Il y a toujours bien plus souffrant que soi et hurler ainsi sur la place publique, ces jours-ci, laisse songeur sur la valeur bien relative de ce que certains qualifieraient trop facilement de « tortures ».
Théâtre Jean-Duceppe
Texte Jean-Philippe Pleau
Adaptation théâtrale David Laurin
Mise en scène Marie-Ève Milot
Interprétation Steve Laplante, Michel-Maxime Legault et Jean-Philippe Pleau
Assistance à la mise en scène
Josianne Dulong-Savignac
Scénographie
Geneviève Lizotte
Costumes
Cynthia St-Gelais
Éclairages
Paul Chambers
Musique
Antoine Berthiaume
Accessoires
Camille Walsh
Une production Duceppe
Environ 1h35 sans entracte
Jusqu’au 4 octobre
Photo : Danny Taillon































































