Les deux concertos pour piano et orchestre de Chopin avec l’OSM!
Après avoir causé la très grande surprise d’avoir remporté le second prix de la dix-septième édition du Concours international Frédéric Chopin à Varsovie en 2015 (devant l’hypersensible pianiste Kate Liu, une émouvante élève de l’illustre Dang Thaï Son), le jeune pianiste virtuose québécois prénommé Charles et au nom de famille avec trait d’union soit Richard-Hamelin (à ne pas confondre donc avec l’autre Québécois et illustre prodige pianistique aux légendaires initiales MAH soit Marc-André Hamelin d’ailleurs de 30 ans son aîné) réalise un autre exploit: en effet, ce vendredi 22 février 2019, un autre grand rêve lui tombe des nues par la bénédiction de sa très bonne étoile soit un disque tout Chopin fort bien réalisé en compagnie de notre irremplaçable OSM soit le meilleur ensemble symphonique au Canada (et sans contredit un des dix plus somptueux ensembles orchestraux au monde notamment pour la richesse envoûtante de sa sonorité décrite jadis comme française).
Cette nouveauté du disque classique offre donc aux mélomanes les deux concertos pour piano et orchestre de Frédéric Chopin (1810-1849), un compositeur franco-polonais bien connu du grand public. Kent Nagano s’est donc prêté à l’exercice offert par François Mario Labbé président et fondateur de l’étiquette Analekta visant à ajouter une autre version de ces oeuvres au catalogue mais avec un artiste québécois primé, un projet encore tout récent d’enregistrer trois jours durant, devant la salle comblée par la généreuse présence de l’affectueux public montréalais en notre Maison Symphonique, ce discret haut-lieu de recueillement musical sis au coin du boulevard de Maisonneuve et de la rue saint Urbain en notre adorable métropole. C’est donc l’entreprise québécoise Analekta distribuée dans le monde entier par Sony qui a assuré la maîtrise technique de ce grand événement musical et par amour du faste on a lancé, mardi 19 février, au restaurant Milos, les premières salves du canon publicitaire car c’est un moment de fierté rare pour tous les Québécois.
Comme l’exprimait Madeleine Careau, directrice générale de l’OSM devant les journalistes invités à ce lancement, le projet d’enregistrer un jeune artiste québécois talentueux, avec un ensemble québécois de qualité comme l’est l’Orchestre symphonique de Montréal, ça ne peut que réjouir le coeur et susciter de grands espoirs de prix additionnels du disque à ajouter au palmarès de l’ensemble et au tablettes du nouvel espace de l’OSM en montre à la Place des Arts. Qu’importe au fond que ce disque soit la 500e audace ou le sept-centième projet de valorisation de la musique classique lancé par la profitable entreprise de M. Labbé, ce qui compte, en ce moment difficile de démission flagrante des milieux de l’éducation québécoise face au devoir institutionnel de la diffusion de la musique classique, c’est l’écoute par millions d’auditeurs de ce disque qui ne peut que rasséréner les mélomanes et réjouir la jeunesse du monde entier.
Quelle bonne étoile pensons-y pour un jeune homme de 29 ans comme Charles Richard-Hamelin! Il faut savoir aussi regarder en arrière pour comprendre qu’on ait oublié de grands artistes d’ici, jadis au faîte de leur carrière, lorsqu’il s’était agi de choisir des virtuoses pour les douzaines d’enregistrements de l’OSM jadis sous étiquette DECCA London. En effet, très peu de nos valeureux pianistes virtuoses québécois ont pu profiter, comme outil promotionnel et étendard de réalisation, d’un si chic enregistrement avec l’OSM. Au fil des ans, ni Louis Lortie (premier prix Busoni, 1984, 4ème prix au Leeds) ni André Laplante (2ème prix au concours Tchaïkovsky, Moscou 1978) ni Janina Fialkowska (3ème prix Artur Rubinstein, Israël 1974) ni Marc-André Hamelin (1985, 1er prix Carnegie Hall, New York) ni Angela Hewitt (1er prix concours Bach, Toronto, 1985) ont pu bénéficier d’un tel outil promotionnel avec l’OSM au sortir de leur triomphe en compétition.
Dans le cas d’André Laplante, professeur récent de Charles Richard-Hamelin, l’omission d’enregistrer son troisième de Rachmaninoff avec notre grand ensemble devrait être un sujet de deuil national. On parle aujourd’hui du coût faramineux de production des disques et du peu de ventes enthousiastes qu’ils suscitent désormais, mais il se peut, souhaitons-le, que ce disque de Richard-Hamelin et de l’OSM apporte un encouragement commercial par une série de triomphes en prix ou distinctions internationales auprès des magazines spécialisés et des critiques musicaux qui comptent pour faire vendre (Gramophone, Diapason, etc). Alors qu’en est-il du résultat? Bien évidemment, je me suis armé de patience et ai choisi neuf autres versions remarquables de chacun des concertos ayant fait époque ou historiquement magnifié la beauté de chacun des deux concertos de Chopin. J’ai procédé à l’étude comparative, partition en main, un mouvement de concerto à la fois, spécifiant ici que la dixième version était celle de qui n’a, rappelons-le, que 29 ans. Les autres interprètes m’ayant invité ou exercé à la comparaison étaient au sommet de leur art (à la date où ils offrirent leur enregistrement au public) ou offraient la meilleure de toutes leurs interprétations au très grand âge de leur plus bouleversante maturité.
Déjà, on voit combien j’ai tenu très haut les standards de la comparaison. Voici donc la première liste de ces interprètes comparatifs que je me suis amusé à collationner, par ordre de préférence en sensibilité et dextérité artistiques pour le deuxième concerto en fa mineur opus 21 : Krystian Zimerman Polish festival Orchestra, 1999), Witold Malcuzynski London, Susskind, Clara Haskil (Orchestre Lamoureux dirigé par Igor Markevitch 11/1960), Artur Rubinstein NBC-LA et Symphony of the Air, Marian Pivka sous O. von Dohnanyi Orchestre slovaque,Yulianna Avdeeva Orchestra of the 18th Century sous Frans Brüggen 2012, Branka Musulin Stuttgart sous Muller-Kray, Claudio Arrau London sous Eliahu Inbal, Dubraka Tomsic et orchestre Ljuubjana, Evgeny Kissin à 12 ans Moscou sous Kitaenko, Marta Argerich London et National sous Claudio Abbado et M.Rostropovich. L’écoute du premier mouvement Maestoso du second concerto m’a convaincu du caractère épuisant voire éreintant de l’exercice.
Comment pourrait-on exiger d’un jeune homme de chez nous qui n’a pas encore trente ans, les qualités raffinées d’une si haute assemblée? Il nous faut donc prendre l’enregistrement avec l’OSM en absolu et en jour. Pourtant, essentielle est cette comparaison pour apprécier la tenue et la hauteur atteinte par Richard-Hamelin. Car c’est avec la partition sous les yeux que l’on reconnaît avec émotion la qualité du phrasé musical d’un virtuose obligatoirement coiffé en son for intérieur des qualités d’un poète hors-pair. Il est impossible d’enlaidir les deux concertos de Chopin, enfin, il y faudrait une maladresse impossible ici avec un détenteur d’un second prix au concours Chopin. Mais la partition sous les yeux aide à constater le degré de finesse de la mémorisation de l’oeuvre par tous ces titans avec une vue d’ensemble respectant les indications de dynamiques surtout les signes expressifs, les indications de crescendos (poco a poco), les mentions con forza (très relative chez le valétudinaire Chopin) mais s’il en est quelques-unes de ces indications qui l’emportent à l’appréciation du jeu soigné ou bouleversant c’est aux indications con anima où le Polonais Rubinstein, le légendaire Chilien Claudio Arrau et l’émouvante Branca Musulin deviennent tour à tour déchirants et méditatifs.
Avec âme seulement peut-on jouer ces pages de Chopin et un jeu passionnant muni d’un inventif rubato a quand même besoin de la délicatesse des ornementations. Les petites mains de Charles Richard-Hamelin l’aident en ce sens-là. En tout, l’interprétation exige cette rondeur et cette légèreté en plus de la diction impeccable des doigts en magistral legato tel qu’il est audible chez Haskil, Zimerman, Malcuzynski, Musulin oui encore elle, et Pivka. Le mouvement lent Larghetto permet quant à lui de départager les mécaniques des vrais chanteurs car chez Chopin tout doit toujours chanter. Accentuations partout indiquées comme essentielles à l’intelligence de la musique, elles légitiment les colorations inusitées des touchers si personnels, le phrasé vocal devient en somme tout partout la marque discriminant les brillants des bons et enfin on saisit pour telles les propulsions sonores des athlètes ordinaires du clavier.
Au mouvement final, c’est le souffle soit cette faculté de pouvoir soutenir la palette expressive avec souplesse, limpidité et tendresse jusqu’au bout de chaque phrase qui emporte la fraternité d’une entraînante collusion avec l’orchestre et son chef. Kent Nagano. Nagano s’est fait assez discret et l’OSM laisse vraiment toute la place au soliste. Après l’exercice réalisé avec le second concerto, je reprends du collier avec le premier concerto opus 11 (il est en stricte observance de la genèse textuelle le véritable second concerto écrit par Chopin, mais c’est une longue histoire tout ça).
Je garde aussi presque les mêmes interprètes sauf que j’y ai ajouté (cités ici encore en ordre de primauté d’excellence) la contribution de Maurizio Pollini Philharmonia et Kletzki, l’inégalable Stefan Askenase – prof de Argerich – et The Hague sous W. van Otterloo, Branka Musulin encore mais avec l’Orchestre de Bamberg sous Heinz Wallberg,Tamas Vasary avec Berlin sous Semkow, Halina Czerny-Stefanska – 1er prix Chopin de 1949 avec Bella Davidovich – avec la Nationale Philharmonie Varsovie sous Witold Rowicki, Emile Gilels avec Philadelphie sous Ormandy, encore le très jeune Zimerman (20 ans) Los Angeles Philharmonic sous Giulini, Ingolf Wunder avec Philharmonie Varsovie sous Antoni Wit et enfin Van Cliburn avec Philadelphie sous Eugene Ormandy.
Sur les trois mouvements entendus, relus, examinés de la sorte de cet opus 11, ceux-ci font encore plus valoir le Krystian Zimerman de 1999 et les poétesses Musulin et Avdeeva et aussi les poètes du clavier Ashkenase et Pollini mais la question qui se pose à savoir où se situe Charles Richard-Hamelin dans cet olympe musical reste entière. Puis, elle devient superflue au point de se demander s’il est vraiment de conséquence de s’y adonner. L’enregistrement Analekta remportera très certainement des prix à l’échelle nationale. La notoriété de l’OSM et de Nagano piqueront la curiosité du public et des critiques internationaux. Le jeu pianistique de Richard-Hamelin est excellent au standard des exigences les plus élevées. Dans une trentaine d’années, le soliste pourra revoir ce qui aura le mieux mûri en lui dans son jeu au sein de ces concertos. «J’ai à ce jour joué le second concerto plus de 70 fois avec orchestre, expliquait-il aux membres de la presse mardi midi, puis j’ai jusqu’à présent joué le premier concerto une trentaine de fois.
Comparé au concours Chopin d’il y a trois ans et demi où, lors de la finale, je ne l’avais jamais joué avec orchestre, je suis satisfait du résultat et des bonnes notes reçues de la part de (c’est la juge excentrique du concours…) Marta Argerich.» Que Charles Richard-Hamelin se rassure, l’audition attentive de son rendement artistique dans les deux concertos de Chopin dépasse très largement celui de Marta Argerich sauf qu’il n’a pas sa coquetterie ni l’air d’être au-dessus de toutes ses affaires et du monde entier, cette superfétatoire position lui est étrangère mais bel et bien marque de commerce de la passionara du piano classique si influente, trop influente à mon avis. Souhaitons à l’OSM et Richard-Hamelin les triomphes qu’ils méritent. Un bel horizon se profile au devant de cet artiste qui a le vent dans les voiles.
Photo: Élizabeth Delage






























































