Jusqu’au 18 mai, l’Usine C de l’Avenue Lalonde à Montréal présente Vernon Subutex 1, 2 et 3. Le texte de Virginie Despentes, clôné d’une bande dessinée et adapté ou remis éloquemment sur scène québécoise par Angela Konrad, remplit à bon escient la fonction de miroir social du théâtre engagé.
Tout sujet d’actualité politique et sociale y passe : comme un bulldozer invulnérable dévalant les terrains minés de nos villes de paradis artificiels, c’est tout à fait un spectacle riche d’évocations et désarçonnant!
Défilé pas peu fier mais d’une diversité électrocutante
Passent, à tour de rôle, sous les projecteurs éblouissants de l’Usine C, les chars allégoriques des drogués chics type bourgeois bohème, la Pavane des égocentriques indifférents, le cri de guerre triomphal des hétéros limites, le gigotage des transgenres admirables de perfection androgyne, la tonitruance des rejetons néo-fascistes rêvant d’attentats et de meurtres en série contre de putatifs coupables.
On y entend hurler la déviance des batteurs de femmes pitoyablement repentants mais aboutissant au risible apitoiement sur soi, sans oublier les jubilations des dévergondées du porno voulant éduquer la tendre enfance par de pédagogiques livres élucidant une ouverture sexuelle totale au monde polymorphe des fantasmes chantés à la cantonade. Pour l’hilarité générale, Anne-Marie Cadieux rugit de ces audaces caractérielles, mais tous les huit autres comédiens aussi.
Chacun cherche son coupable
Au terme de la première partie, apparaîtra dans la mire du topos, cette image facile ou réactive des musulmans en colère contre la permissivité choquante de l’Occident. En somme, ce chef-d’oeuvre d’interprétation théâtrale et d’expositions thématiques actuelles, c’est la réunion de tous les épiphénomènes de la maladie normative de toute notre énormité devenue acceptable.
S’y prélassent à la perfection nos souffrances humaines qui font rire jaune: oui, à la perfection, car neuf acteurs de premier plan interprètent avec une énergie de révolte ces situations d’impasse sociale. Et s’y démultiplient les personnages dévoyés de nos sociétés éparpillées en libertés enragées de certitudes et pourtant au comble de la perplexité!
Seules la sexualité et la musique rassérènent
Le personnage de disquaire ruiné qu’est Vernon Subutex (David Boutin) surgit du début à la fin comme un itinérant disert de haut parage: son parcours de vie résumera notre monde opportuniste en déliquescence où aboutissent, côte à côte, la foule des abasourdis, soit tous ces sans abris et électrocutés des courants amoraux en vogue à notre époque. Seule la musique et les chansons évoquées nous relient et nous ramènent à notre humanité compatissante.
Le choc de voir notre vie en teintes délétères
D’un bout à l’autre de cette première partie, pour le moment, nous ne voyons que trois belles heures de grand théâtre. Sans relâche, l’humour accourt à la rescousse de ces scènes remplies de parodie, de satire et de cette ironie voltairienne bien consciente que nous gardons la tête dans le sable au terme historique anticipé des épisodes incessants de boucheries héroïques: l’esquisse de nos corps ou âmes partout mutilés, tatoués de l’imprimatur de nos immenses progrès nous atterre, mais on avancera dans la partie 2 et 3 rempli d’attentes, en quête de solutions. À suivre.