Voir renaître les géants de la chanson française sur scène est toujours un événement. Avec Brel, on prépare nos mouchoirs, prêts à un voyage nostalgique parmi les mots d’un poète inoubliable. Mais hier soir, au Théâtre Maisonneuve, il s’est passé quelque chose un tantinet différent.
Olivier Laurent : un travail d’orfèvre, une incarnation presque inquiétante
Olivier Laurent a, de toute évidence, bâti son Brel minutieusement, patiemment, presque obsessionnellement. La voix d’abord, étonnamment proche de l’authentique, avec ces cassures, cette hargne, ces caresses rauques qui font vibrer les mots. Laurent joue Brel : il est son miroir.
Puis la gestuelle que les quelques vidéos de Brel que j’ai vues confirment tantôt identique, tantôt exagérée, comme si Laurent avait voulu pousser l’essence même du chanteur au-delà du réel.
Son corps est agile, élastique, électrique mais tendu. Sa posture de base, genoux légèrement fléchis, ressemble à celle d’un cavalier sans cheval qui, poings fermés, tient les guides.
Autrement chaque geste semble chorégraphié au millimètre : le poing qui frappe le vide, le torse qui se plie, la sueur qui ruisselle, les envolées, les sautillements… On sait que Laurent perd trois kilos par spectacle et, à le voir, on n’en doute pas une seconde.
À la fin de chaque chanson, son souffle court, son cœur battant, témoignent de l’intensité presque dangereuse de sa performance.
Car Brel, c’est du texte, de la chair dans les mots, de la tragédie dans chaque syllabe, et Laurent, là-dessus, ne triche pas.
Hier, il a offert des classiques : Les Vieux, Les Vieux Amants, Vesoul, Jef, Au Suivant. Des moments puissants, spectaculaires.
Des trouvailles brillantes : l’homme aux cent voix
L’un des moments les plus surprenants fut sans doute Quand on n’a que l’amour. Quatre micros apparaissent sur scène. Pourquoi? Pour permettre à Laurent, l’homme aux cent voix, d’incarner tour à tour Bécaud, Montand, Aznavour et Hallyday.
En un instant, sa silhouette se transforme, sa voix s’incline, sa gestuelle évoque avec précision chacun de ces disparus.
C’est un numéro audacieux, virtuose, qui rappelle presque l’exploit vocal d’un André-Philippe Gagnon dans You Are the World.
Puis viennent La Quête, La Valse à mille temps, Les Bonbons avec l’accent belge bien planté, et l’incontournable Ces gens-là, autant de morceaux qui, dans une salle attentive, provoquent des frissons collectifs.
Et puis il y a cette finale éblouissante : la voix de Brel, la vraie, résonne soudain dans un micro laissé vide mais illuminé comme une présence fantôme. Olivier Laurent s’y joint pour un duo saisissant, à la fois hommage et vertige dans Voir un ami pleurer. Un coup de génie.
Un son désastreux qui a gâché l’expérience
Mais hier soir, malheureusement, le Théâtre Maisonneuve a trahi l’artiste. Le son était médiocre : voix et musique au même niveau, paroles brouillées, réverbération agaçante, équilibre sonore absent.
Autour de moi, rangée J, le public semblait distrait, hésitant, souvent silencieux là où les ovations auraient dû exploser comme dans les premières rangées. J’ai même vu des gens partir à mi-chemin. Quand on vient pour Brel, on vient pour entendre des mots : des perles de pluie, des corps qui exultent, des impossibles rêves, des blessures, des cris, des tendresses.
Si les mots n’arrivent pas, si l’on doit forcer pour comprendre, si la musique recouvre la voix alors on rate le voyage. Et hier, une partie importante de ce voyage fut perdue.
Une tristesse profonde : l’artiste mérite mieux
Dans la lumière, un artiste donnant absolument tout, corps, souffle, voix, âme. Dans la salle, un système sonore incapable de suivre. La conscience que Laurent livrait une performance exceptionnelle… quatre musiciens dont un pianiste et un accordéoniste virtuoses, mais que Montréal ne la recevait pas à la hauteur de son engagement.
Olivier Laurent est un remarquable interprète, et il parvient réellement à faire revivre quelque chose de Brel. Sa venue de Belgique est toujours attendue avec plaisir.
Cependant, même avec un artiste aussi habité, il serait souhaitable d’améliorer la qualité du son, afin de permettre au public de profiter pleinement de l’essentiel.
Prochain spectacle à Joliette le 19 novembre – Billets































































