Abla Farhoud, que l’on connaît bien pour ses livres de fiction, remplis d’humanité et de sensibilité, vient de publier, chez VLB éditeur, son plus récent roman Le dernier des snoreaux, avec comme sujets la vieillesse et la folie.
Résumé : Ibrahim Abou-Snobara, alias Snoreau, est vieux et fou. Dans sa chambre d’hôpital, il pense à ses cinq soeurs, Écrivaine, Musicienne, Présidente, Doctoresse et Madone. Qu’est-ce qu’il adviendra d’elles quand il ne sera plus? Et de lui, sans elles, dans cet ailleurs sons nom où l’on ne dit plus « je »? Son regard se porte sur chacune avec une acuité qui pourrait sembler cruelle si Snoreau n’était pas Snoreau, et si le roman de ses derniers jours n’était pas empreint de l’humour et de l’humanité qui caractérisent toute l’oeuvre d’Abla Farhoud.
Avec le Fou d’Omar, Abla Farhoud avait déjà abordé le thème de la santé mentale et c’était porté par quatre voix d’hommes en détresse. Dans Le dernier des snoreaux, c’est un mélange de folie et de vieillesse qui est au cœur même de ce roman de fiction. Dans la narration de ce vieux snoreau, comme il aime être appelé, Ibrahim se raconte, se remémore, sa vie, ses souffrances, sa folie, ses petits moments qu’il savoure avec ses cinq sœurs. Il raconte ce qu’il a vécu comme cobaye à l’hôpital Douglas, à nous en faire glacer le sang, et il nous fait sourire quand il nous parle de ces gentilles bénévoles qui lui rendent la vie plus facile à l’hôpital.
L’écriture d’Abla Farhoud est unique. Sa plume est à la fois poétique, mélodieuse et rythmée. Et c’est encore plus flagrant dans ce roman que ceux qu’elle a publiés précédemment. C’est comme un battement de cœur qui résonne en nous, à chacune des répliques ou de la narration. Elle a une telle finesse dans ses mots, une grande humanité également qui ressort, particulièrement dans ce roman, où on est suspendu au récit d’Ibrahim qui alterne entre souvenirs et réflexions, entre sa vie passée et ce qui le retient encore en mode survit.
On apprend à connaître petit à petit ses cinq sœurs, qu’il nomme par leur métier : «Madone, Doctoresse, Présidente, Écrivaine, Musicienne. Si je les appelle par leur métier, c’est pour mieux me souvenir que je n’en ai pas; la folie est une tare, pas une profession. Je suis sadique dans le fond. Je me flagelle inutilement. On dirait que la souffrance que je ne peux pas éviter ne me suffit pas. »
À la fin du roman, l’auteure mentionne qu’elle a emprunté des phrases ou bouts de phrases à plusieurs écrivains ou personnalités célèbres qu’elle nomme bien gentiment. C’est intéressant de voir comment le personnage du vieux Snoreau incorpore ces bouts de phrases et pourquoi surtout ? «Quand ça convient dans la conversation, au lieu de m’étendre en long et en large, j’emprunte la phrase d’un écrivain qui formule d’une belle façon ce que je veux exprimer, mais pour l’énoncer aussi succinctement et joliment, il me faudrait réfléchir, chercher, réorganiser, trouver les mots justes qui traduisent ma pensée et frappent l’imagination. Je cite les écrivains pas pour faire le frais chié, mais pour les garder vivants. Je me dis que ces écrivains n’ont pas travaillé comme des malades à peaufiner chaque phrase pour qu’on les oublie à mesure.» Personnellement, je trouve que c’est une excellente idée d’intégrer ici et là des citations bien placées et bien senties.
Et on retrouve aussi dans ce livre, des morceaux de poésie, des brins de réflexions poétiques qui ne peuvent que nous émouvoir : « Ma peine est profonde de ne pas avoir eu d’enfants
Si au moins mes sœurs en avaient eu…
Je ne peux pas croire que rien ne subsistera
Que tout ce que j’ai souffert ne pourra pas être racheté
Réparé
Que ce chemin si douloureux finira avec moi
Que rien ne pourra être changé résolu pardonné transmis
Tout mourra avec moi et n’aura servi à rien
Toutes mes souffrances n’auront servi à rien
Je suis si orgueilleux au fond
Je voulais l’éternité»
Née au Liban, Abla Farhoud s’est définitivement installée à Montréal après des études de théâtre à l’Université de Vincennes. Elle a été comédienne et dramaturge avant de se consacrer entièrement au roman à partir de la fin des années 1990. Son oeuvre intime aux contours changeants a remporté de nombreuses distinctions, dont le prix France-Québec et le Prix du roman francophone. Son précédent roman, Au Grand Soleil cachez vos filles (VLB, 2017), a été finaliste au Prix littéraire des collégiens.
Prix 19,95 $
Nombre de pages : 204 pages
Parution : 2019-04-03
Éditions VLB éditeur