Le Misanthrope, comédie grinçante de Molière, créée en 1666, vous semblera sans doute plus actuelle que jamais, en ce début d’année 2024, dans la mise en scène de Florent Siaud, au Théâtre du Nouveau Monde. Dans un décor qui pourrait être celui d’un luxueux penthouse, les alexandrins de Jean-Baptiste Poquelin conservent leur envoûtante musicalité d’antan, mais ils semblent avoir été écrits pour narguer notre époque où le paraître l’emporte souvent sur l’être. Les sujets abordés ne manquent pas de profondeur, tout en donnant lieu à une sorte de vaudeville où certains acteurs disparaissent littéralement dans les fentes d’un sofa!
Francis Ducharme, convaincant en Alceste dégoûté par l’hypocrisie de ses contemporains, va jusqu’à grimper sur un lustre pour clamer son indignation! À ses yeux, tous les gens sont hypocrites et n’hésitent pas à mentir que ce soit par crainte de déplaire où pour arriver à leurs fins. Rien n’apaise les tourments de ce jeune homme un brin dépressif, pas même les appels à la modération lancés par son ami Philinte, joué avec doigté par Alex Bergeron.
Pour ajouter à son courroux, Alceste est amoureux de Célimène qui incarne pourtant tout ce qui l’irrite: coquetterie, superficialité, double-jeu. Alice Pascual est étincelante dans ce rôle un tantinet caricatural, où la polyamoureuse s’évertue à entretenir la flamme de quatre prétendants! Avec sa démarche de mannequin dans un défilé de mode, la dame apparaît juchée sur ses talons hauts comme si elle allait passer la soirée à la disco.
À travers la gestuelle de ses personnages, le metteur en scène évoque déjà le fossé qui les sépare et, de ce fait, il met en place des ressorts qui déclencheront des rires du début à la fin de ce spectacle de près de deux heures sans entracte. Dans cet univers sarcastique, on va jusqu’à chantonner certains vers.
On se délecte, également, des règlements de comptes verbaux entre la médisante Célimène et la rusée Arsinoé, incarnée par la désopilante Evelyne Rompré!
Malgré certaines animosités dissimulées tant bien que mal, on s’offre des fleurs, en se doutant bien que le pot ne tardera pas à suivre!
Ce déferlement de fourberies enrobées d’élégance apparaît comme une parodie de soirées vaguement mondaines d’aujourd’hui, grâce aux costumes sexy de Julie Charland et au décor bon chic bon genre de Romain Fabre.
La blancheur des lieux sera toutefois progressivement souillée de peinture brunâtre dont certains personnages s’enduisent le visage. Cette substance symboliserait-t-elle la bile que secrète l’âme d’Alceste ?
Les actes sont séparés par l’apparition à l’avant-scène de grandes toiles aux motifs animaliers. Durant ces moments de transition, on entend des voix dont les propos m’ont toutefois paru inaudibles. D’ailleurs, plusieurs acteurs y gagneraient à raffermir leur projection car certains mots de ce texte subtil et dense nous échappent parfois.
Malgré ces quelques bémols, la passion brûlante des prétendants de Célimène vous fera probablement oublier les heures sombres et froides de janvier, dans ce spectacle à la fois profond et léger qui soulève des questions toujours pertinentes.
La sincérité envers tous et en toutes circonstances est-elle possible? Souhaitable? Ce qui est exprimé sincèrement est-il automatiquement vrai?
Les contrastes entre les valeurs chères au Misanthrope et celles des membres de son entourage ont une résonance qui colle à notre époque, où règne l’intransigeance et l’obligation de se rallier à certaines opinions.
En plus de nous faire rire, Molière ne dicte aucun choix éthique au spectateur dans ce classique des classiques, À voir!
Le Misanthrope de Molière
Mise en scène: Florent Siaud
Avec:
Alex Bergeron, Dany Boudreault, Francis Ducharme, Matthias Lefèvre, Mélodie Lupien, Iannicko N’Doua, Alice Pascual, Evelyne Rompré, Dominick Rustam, Mounia Zahzam
Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 11 février
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