Après la trilogie de La Bête, qui s’est vendue à plus de 128 000 exemplaires, David Goudreault nous propose de demeurer dans l’univers de la Bête, en publiant Maple, un polar trashicomique. Maple, c’est cette travailleuse du sexe introduite dans la trilogie La bête, et qui s’est retrouvée en prison à la fin de la trilogie. Ce polar, à l’humour noir grinçant, la poésie rugueuse et aux laissés pour compte attachants se passe quelques années plus tard, lorsqu’elle sort de prison.
Résumé : Quand même pas tous les jours qu’une péripatéticienne bien mûre arrive à résoudre un paquet de crimes, à doubler la police et à neutraliser un tueur en série du même élan. Ça vaut la peine d’être raconté. Attachez vos tuques avec de la broche à dents, ça va fesser fort. »
Ceux qui comme moi, ont adoré et dévoré la trilogie de la Bête (disponible aussi en format la bête intégrale), seront heureux de retrouver Maple et l’univers des poqués de la vie, des travailleuses du sexe et des toxicomanes. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, Maple avait été condamnée à huit ans et des poussières, après avoir agressé un agent pour permettre à la Bête de fuir, à la fin du dernier tome de la trilogie, Abattre la bête.
Maple, c’est «une chatte de ruelle dans une chienne de vie», c’est ainsi que l’auteur nous la décrit, par le biais de sa narratrice. On retrouve donc Maple, à sa sortie de prison, avec toujours sa verve puissante, colorée, révoltée, alors qu’elle s’est donné comme mandat de se mêler de l’enquête policière pour trouver le tueur en série qui sévit dans Hochelaga, alors que les personnes assassinées œuvraient dans le domaine de la prostitution. Avant même le prologue, l’auteur nous sert un «traumavertissement,/ mise en garde» pour les lecteurs sensibles de s’abstenir. Étant personnellement une personne très sensible, j’ai hésité à continuer ma lecture, mais comme j’avais passé à travers la bête intégrale avec jouissance, j’ai pris le risque. Et quel risque payant pour moi, de renouer avec la plume incisive de David Goudreault, à la poésie rugueuse, à l’humour noir à la fois trash et intelligent et aux figures de style colorées et expressions populaires déformées ou falsifiées ! Voici des exemples que je trouve succulents :
«le monde est petit, mais le hasard est grand.»
«…ne jamais mélanger les affaires et les relations, pas plus que les émotions et la raison, surtout que les émotions nous donnent rarement raison. »
Une pointe lancée au monde de la littérature. «Il n’y a que dans la musique ou la littérature que les putes générant le profit ne touchent que dix pour cent du magot.»
Des expressions falsifiées véridiques : «Mes attentes en miettes, je me ramassais sans petite cuillère. Je m’en voulais, on n’est jamais si bien déçue que par soi-même.»
«Je suis loin d’être un steak, pas question de me laisser attendrir.»
Des métaphores humoristiques. «De vrais snowbirds, quelque part entre ma poitrine et mon nombril, mes totons étaient partis se reposer dans le Sud.»
Des évidences. « Arrêter de boire, c’est facile. Ne pas recommencer, c’est un calvaire.»
Des descriptions crues et imagées «L’envers de l’érotisme, c’est l’ennui. Si la chatte s’endort, ton chien est mort. Avec mon homme, je ne savais jamais à quoi m’attendre. Il pouvait être tendre et joueur comme un labrador, sa longue langue allant me fouiller le sexe comme si je cachais un trésor au fond, ou brutal et dominant comme un berger allemand.»
Des vérités qui frappent fort l’imaginaire. «Je me suis retrouvée en famille d’accueil, mais je n’y ai trouvé ni famille ni accueil.»
D’autres vérités qui font mal à lire «Il ne faut jamais sous-estimer la nocivité d’un parent distant, des yeux sans regard dedans, le message diffus, mais soutenu, d’inamour. L’absence d’espoir, c’est moins douloureux que le désespoir.»
C’est ce qui fait la force de la plume de David Goudreault et son passé de travailleur social. Il nous présente à la fois un polar, une enquête sur un tueur en série, tout en nous dressant un portrait social de nos écorchés de la vie, les filles de rue, les alcoolos, les toxicos dans les bas-fonds de Montréal, sans jugement, bien au contraire. Il réussit à humaniser ces mal-aimés et rejets de la société et à dénoncer les absurdités des programmes sociaux, la DPJ, les CHSLD, le système de la justice. J’adore ses montées de lait sur les travers de notre société. Voici l’exemple de la DPJ «Trop de parents fuckés pour le nombre d’intervenantes sous-payées, elles n’arriveront jamais à prendre le dessus. En plus des milliers d’enfants placés, et de parents en mesure de suivi, il y a trois cent soixante signalements par jour au Québec, en moyenne… Un Québec qui s’en fout de ses enfants, qui ne se donne pas les moyens de protéger son avenir, qui démissionne, comme les dizaines d’intervenantes qui abandonnent le navire, avec raison, pour ne pas perdre la leur. La DPJ devrait se déguiser en lobby d’actionnaires ou en multinationale déficitaire, elle obtiendrait enfin du soutien de l’État.»
En plus de cet humour, ces réflexions, cette poésie, il y a l’enquête que Maple poursuit et qui est la trame de fond de toute cette histoire et ma troisième raison d’aimer ce roman. David Goudreault semble avoir bien compris les codes du polar. On progresse lentement mais sûrement dans cette enquête, à travers les yeux et la langue colorée de Maple. Mais ce sont les cinquante dernières pages du roman qui nous tiennent en haleine, nous surprennent, nous rebondissent en pleine face. On ne voit rien venir de la finale, des revirements, des mauvaises directions qu’a prises notre cerveau pour analyser cette histoire. Bravo pour le suspense et le polar, mais surtout merci pour la prise de conscience et la réflexion que tu nous imposes David Goudreault, avec ce polar trashicomique rempli de ta poésie.
Travailleur social, romancier et poète, David Goudreault a publié une douzaine de livres. De nombreuses distinctions ponctuent sa carrière, dont la médaille de l’Assemblée nationale, la Coupe du monde de poésie, le Grand prix littéraire Archambault, le Prix des nouvelles voix de la littérature et le prix Clémence-DesRochers.
Date de parution : 16 novembre 2022
Prix : 27.95$
Nombre de pages : 240 pages
Éditions Stanké : https://editionsstanke.groupelivre.com/