Pour son deuxième roman dessiné, Dany Laferrière nous emmène dans les confins de son enfance. Des souvenirs qu’il dessine au gré d’événements marquants ou d’anecdotes cocasses, de son Haïti natale, à son Montréal de cœur, en passant par sa transition américaine. Ponctué de références de peintres et de poètes, ce 31e livre de l’académicien nous capte une fois de plus dans son univers, nous entraine sur d’autres rives, les siennes si inspirantes et si riches.
Tel un cahier de dessin, Vers d’autres rives se présente comme Autoportrait de Paris avec chat : une écriture enfantine qui contraste avec les écrits si posés et authentiques de l’auteur. Ses dessins prennent une grande place : tantôt illustrations, tantôt propos, Dany Laferrière présente la genèse de l’homme qu’il est aujourd’hui. Les influences certaines de sa grand-mère, les habitudes des habitants de Petit-Goâve et toutes ces personnes, artistes dans l’âme ou dans le cœur, qui ont croisé sa route et qui ont su y laisser leur trace.
S’il est un écrivain qui a toujours su rendre hommage à sa terre et justice à son pays, c’est bien Dany Laferrière. Et il a ce don… celui de vous représenter un endroit sans doute inconnu pour vous, mais avec moult détails. Vous imaginez les gens qu’il côtoie, leur allure, leur caractère ; vous éprouvez une certaine tristesse lorsque la faucheuse en fait tomber quelques-uns. Il vous semble aussi humer ces délicieuses odeurs inestimables pour l’éternel enfant qu’il est… que nous sommes.
De cette plume légère et captivante, il nous présente ces poètes, ces peintres, ses artistes, ce dynamisme artistique trop peu évoqué de nos jours. Car Haïti, c’est aussi cela : des couleurs, de l’inspiration, des précurseurs parfois comme Rigaud Benoit, mais aussi des tourmentés, comme Roussan Camille. Un profond respect émerge de ces pages qui présentent une facette peu connue de l’île, d’autant plus importante pour l’écrivain.
Fourmis, mangue, pêche à la crevette… Les traumatismes animaliers et plaisirs culinaires de l’enfance laissent place à la réalité de l’adulte. Pendant un tiers de l’ouvrage, Dany Laferrière dévoile sa vie d’écrivain, les difficultés du processus créatif, l’incertitude, sans doute la peur de la page blanche, la rencontre avec Montréal et le succès de son premier roman. Il a d’ailleurs cette réflexion intéressante empreinte de réalisme et de modestie : « J’avais écrit un premier roman qui avait eu du succès et j’avais peur de devenir un écrivain célèbre avant d’être un écrivain ». Ce sera l’une des raisons qui le pousseront à son exil américain.
À Miami, où il est directement confronté à la misère, il évoque ces réfugiés au passé disparu et à l’avenir incertain, qui voyagent dans des conditions affreuses pour arriver sur les côtes de la Floride. Là, le vague espoir est remplacé par un camp de détention. Il en appelle alors à Davertige et son poème Omabarigore : Omabarigore la ville que j’ai créée pour toi – En prenant la mer dans mes bras – Et les paysages autour de ma tête.
À ces pages consacrées à Miami, s’ajoutent quelques descriptions de sa famille, ses filles, leurs passions… et leur désir de revoir la neige. Un désir pour elles, un manque pour lui : revoir des couleurs, les escaliers improbables et les souvenirs… Il nous donne envie d’éprouver un jour ces sentiments pour un lieu, un pays, un village…
Montréal ne saurait remplacer Haïti. Ainsi pour ne jamais oublier, Dany rêve à voix haute et crayon fort.
Vers d’autres rives – Dany Laferrière de l’académie française
Éditions : Boréal
Genre : Romans et récits
112 pages