On se souvient qu’au début de la pandémie, alors que la population était confinée à la maison, Janette Bertrand avait suggéré aux personnes âgées d’écrire leur biographie. Soutenue par l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, elle a mis sur pied une série de capsules relatant les diverses étapes du processus pour atteindre un résultat optimal.
Un trésor de confidences
Quelques mois plus tard, elle a reçu des milliers de textes, ceux-ci provenant de toutes les régions du Québec : une tonne de renseignements, un vrai trésor de confidences. Mais comment départager tout cela? La centenaire, qui ne manque pas d’idées, entreprend alors de jumeler les histoires vécues de citoyens et les juxtapose en choisissant comme partenaire l’historien Laurent Turcot largement documenté.
On parle du Bas-Canada et de la Nouvelle Colonie dès l’arrivée des Filles du Roy et des soldats français dont Janette réclame la descendance. Le lecteur apprendra le parcours d’un peuple qui s’est battu pour sa survie et qui en est sorti encore debout malgré ses déboires dont la défaite des Plaines d’Abraham survenue en 1759 alors que la France s’est retirée de la colonie nous laissant à la Conquête des Anglais.
La femme, une personne mineure
On y apprend beaucoup de choses, notamment que les femmes (épouses et mères) n’étaient à cette époque pas si lointaine, que des personnes mineures dans les textes de lois. C’est l’arrivée de l’avocate montréalaise Claire Kirkland-Casgrain au Parlement de Québec en 1964 que les choses ont changé. À cette époque, la première députée féminine ne pouvait signer un bail pour occuper son appartement de fonction dans la Vieille-Capitale. Il lui fallait la signature de son mari. Elle fait donc changer la Loi. Comment voulez-vous que les femmes s’émancipent si elles n’ont aucun pouvoir juridique? Les femmes étaient dévaluées au superlatif. D’ailleurs, Janette s’est fait traitée de «pourrie», de «bonne à rien», ce qui a fait d’elle une révoltée.
Faire enfermer sa femme
Autre fait renversant : si le mari connaît un bon médecin, il peut faire enfermer sa femme «parce qu’elle ne fait plus son affaire». Pourquoi pensez-vous que nos grand-mères et nos aïeules se taisaient et enduraient en silence toutes les injustices vécues? C’était des femmes vaillantes et elles dirigeaient leur attention sur le foyer, et l’éducation des enfants.
Un clergé manipulateur
Après avoir accouché de jumelles mortes à la naissance et avoir donné vie à trois autres enfants bien portants, l’auteure rencontre un prêtre et avoue «empêcher la famille». Ce curé lui dit qu’elle peut continuer à avoir des relations sexuelles mais que la jouissance coïtale doit être celle de l’homme exclusivement. C’est alors pour Janette la rupture définitive avec le clergé.
Aucun sujet n’est tabou pour elle
L’auteure parle abondamment d’ignorance généralisée. Elle a dû se documenter pour pouvoir parler du clitoris à ses filles. D’ailleurs, comme elle parlait de sexe sans tabou à la télé, elle a été convoquée à l’évêché pour se faire sermonner et elle a ignoré la demande de ces hommes en soutane qui ne connaissent rien aux rapports conjugaux et à ceux de la famille.
On parle d’un grand nombre de sujets dans ce livre, notamment des maladies, variole, tuberculose, grippe espagnole. Comme toujours, Laurent Turcot situe dans leur contexte historique les sujet traités. En ce qui a trait à la variole, le clergé dira que c’est une punition de Dieu car l’homme a été orgueilleux et concupiscent.
Ce livre se laisse dévorer en un rien de temps. Je le recommande à tous les citoyens québécois, qu’ils soient de souche ou venus d’ailleurs.
Cent ans d’histoire de Janette Betrand, en partenariat avec Laurent Turcot, Éditions Libre-Expression, 2025, 178 p.































































