À l’occasion de sa dernière venue à Montréal, voici un reportage du spectacle de Charles Aznavour.
À 20h13, le coeur de 8,296 montréalais a fait boom en apercevant la mince silhouette légendaire de Charles Aznavour émerger du côté cour en glissant ses semelles sur la scène du Théâtre du Centre Bell hier soir. Ce savoureux moment a donné lieu à une explosion d’ovation debout, de cris de joie et de sifflements approbateurs pour le nonagénaire qui répète ces entrées sur scène depuis 83 ans bien comptées.
Puis, le grand Charles a fendu le murmure de la foule en chantant Les Émigrants (1986) qui dresse ce portrait très actuel, émouvant et véridique des conditions de vie des réfugiés « Comment crois-tu qu’ils sont venus? Comment crois-tu qu’ils ont mangé? Comment crois-tu qu’ils ont souffert? » Plus que visionnaire, Aznavour transcende les modes parce qu’il saisit l’âme et l’histoire répétitive de l’humanité.
Du fait de société, il est passé à un de ses thèmes moteur, le temps, celui qu’il nous reste avec Je n’ai pas vu le temps passer, qu’il écrit à 50 ans mais dans laquelle il substituera habilement ses 92 ans aujourd’hui.
Dans le décor dépouillé de cette salle bondée, toute la place est au poids des mots et des mélodies, tout écran géant devient inutile, seule l’intelligence des éclairages, une demi-douzaine de musiciens, deux choristes, et le maître lui-même sont à la barre de nos émotions.
Chansons d’hier, d’avant-hier et d’antan, nous promettra-t-il avant d’entonner celles d’aujourd’hui, Viens m’emporter (2010), et faire battre la chamade des spectateurs aussi attentifs qu’à la messe dominicale. Il faut aussi l’entendre dans la mélancolique et poignante Avec un brin de nostalgie (2015), titre à succès tiré de son dernier album Encores.
Montréal fait partie de sa jeunesse. Il soulignera d’ailleurs son duo avec Pierre Roche qui l’avait propulsé dans sa carrière ici dans un autre siècle. Il en profitera pour faire Parce que, chanson magique qu’il n’a pas interprétée depuis 30 ans.
Il voit moins, entend moins et n’a plus de mémoire, nous confiera-t-il candidement en admettant dire la vérité à son public, mais qu’importe, on ne remarque pas, Charles Aznavour est particulièrement en voix et l’énergie aznavourienne si unique, au rendez-vous!
Puis, vint le temps de quelques-uns de ses nombreux grands classiques, Paris au mois d’août, sur l’amour d’un été, extraite du film éponyme dont il était la vedette avec une musique inoubliable composée par son beau-frère George Garvarentz en 1966; Mourir d’aimer, sur les amours impossibles : « Puisque notre amour ne peut vivre Mieux vaut en refermer le livre… Tu es le printemps moi l’automne Ton cœur se prend, le mien se donne ». Ces joyaux s’introduisent sous l’épiderme de centaines de milliers de gens qui arrivent à confondre le mot Aznavour avec amour.
Désormais, Il faut savoir, Hier encore, sont autant de titres qui ont donné aux jeunes et encore aujourd’hui, l’envie d’aimer mais aussi de vivre les peines qui viennent forcément avec l’amour. Il nous a d’ailleurs offert une toute nouvelle chanson L’amour fait mal, un clin d’oeil léger aux milles maux de l’amour. Charles Aznavour à travers son oeuvre, tient lieu depuis huit décennies d’épaule virtuelle construite de paroles et de musique, il est le compagnon de nos souvenirs heureux, nos grands amours et nos peines silencieuses.
Tout comme l’émouvante Sa jeunesse (1956) qu’il récite d’abord jusqu’à ce que le piano magistral d’Erik Berchot se joigne à sa voix, Aznavour inspire plus que jamais le goût de vivre. Se présenter sur scène avec une telle énergie, une telle motivation, à un si grand âge, et remplir des salles totalement conquises, tient de l’exploit et est sans précédent dans quelque pays que ce soit et pour quelqu’interprète qui soit.
Artiste international, il chantera aussi Je t’attends en espagnol, T’espero, une pièce aussi magnifiquement reprise par le groupe Chico and the Gypsies, Que c’est triste Venise, Come triste Venecia en italien, et son envoûtante She en anglais.
Élégant et tout de noir vêtu sauf pour le rouge des bretelles et les chaussettes, Charles Aznavour se déplace sur scène comme un félin, danse sur Les Plaisirs démodés, lance son micro d’une main à l’autre dans Les Emmerdes et se penche avec humour pour lire les paroles sur le prompteur, court sur scène dans Les Deux Guitares, lance son mouchoir brodé de son nom et vite attrapé au vol par une spectatrice aux aguets dans La Bohème et chante Je voyage avec sa jolie fille Katia.
Aznavour est une véritable leçon de vie, de générosité, de résilience et de courage pour tous tant et si bien que le public emporté par la magie de la soirée ne voulait plus partir!
Le concert de Charles Aznavour comprend 25 chansons et dure près de deux heures sans entracte. Aznavour sera au Centre Videotron à Québec le 23 octobre.