S’attaquer à l’oeuvre de Charles Aznavour tient d’un délicat jeu d’équilibriste, ce géant ayant inscrit dans nos mémoires ses paroles, ses mélodies et sa gestuelle inimitable sur scène.
Dans le cadre des Francos, Mario Pelchat, à la Maison symphonique, a pris en main ce répertoire magistral connaissant tous les risques qui y sont associés. L’artiste-producteur connaît bien l’étendue de son propre talent, la portée de sa popularité et les goûts du public d’ici. Sa voix grave, en contrôle et sa présence dramatique se prêtent à merveille à l’oeuvre du maître de la chanson française. Et l’interprétation qu’il fera de cette poésie immortelle ne déçoit aucunement. Pelchat est un artiste chevronné, un bel homme, mûr, aminci, nuancé, délicat, qui s’exprime bien et qui a été capable de se glisser dans la peau de Bécaud, de Michel Legrand, et cette fois d’Aznavour.
Juste assez
Il a construit Pelchat-Aznavour avec les chansons les plus connues, celles qu’il aime le plus dira-t-il : Désormais, Mes emmerdes, Le temps, Que c’est triste Venise et La mama entre autres. Il a évoqué, sans imiter, des gestes familiers de ce monstre sacré, en arrivant sur scène chemise déboutonnée, veston texturé à la main pour Je m’voyais déjà et il a évité de frotter ses souliers et virer le dos au public en fin d’interprétation comme dans l’original. Dans Comme ils disent, la chanson qui a mis au jour l’homosexualité et fait scandale à une autre époque, il a aussi évoqué la posture d’Aznavour sans exagération. Et c’est bien ainsi!
Les autres chansons
La meilleure idée de ce spectacle est sans doute de souligner que Charles Aznavour, malgré ses centaines de succès, est également l’auteur de milliers de chansons dont plusieurs ont été le tremplin pour d’autres artistes. Pelchat ne fera qu’une bouchée de la jolie Le Mexicain (1962) dont la musique a été écrite par Aznavour sur des paroles de Jacques Plante qui avait été popularisée par Marcel Amont. Sur grand écran, le Québécois Raymond Berthiaume apparaîtra en simultané avec l’auteur de Pleurs dans la pluie dans un vidéo chantant Un monde avec toi, une magnifique chanson de Bert Kaempfert créée par Frank Sinatra mais adaptée en français par Aznavour. Mireille Mathieu l’avait aussi interprétée.
Ce spectacle était soutenu par 12 musiciens dont plusieurs cachés derrière un pupitre à la Big Band, plus que ce qu’Aznavour commandait, avec les multiples cuivres, saxophone, flûte, trompette, trombone, les cordes avec les violons, l’alto, le piano, la batterie et les guitares, qui ont eu pour effet d’enrichir l’orchestration originale.
Les surprises
À moitié chemin de ce concert, les surprises se sont enchaînées. Ainsi j’ai pendant quelques instants cru que Mario Pelchat était en duo virtuel avec Édith Piaf jusqu’à ce que Claudette Dion entre en scène en chantant avec lui Plus bleu que tes yeux. Puis, tandis que Pelchat s’éclipsait, l’indomptable Michèle Richard est apparue au fond de la scène, élégante dans sa robe longue dorée pour interpréter La plus belle pour aller danser. Le clou de ces surprises si on en croit la rumeur et les oh! et les ah! de cette foule joyeuse et attentive, est l’arrivée de l’inoxydable, impeccable et charismatique Michel Louvain qui a fièrement attaqué Ay Mourir pour toi.
En avril 2012, Charles Aznavour frôlait les planches de la Maison symphonique qui a accueilli Pelchat. Je me rappelle qu’il avait dit de cette salle qu’elle n’était pas faite pour un chanteur populaire, question de sonorité. Il avait dû recommencer quelques chansons car il ne s’entendait pas. J’ignore si Mario Pelchat a eu des défis de cette nature à relever dans cette précieuse salle mais la voix est définitivement plus feutrée et moins écho.
Les bémols
Pour ce qui est de la conception du spectacle, la liste des chansons est excellente mais plutôt que de faire défiler des photos des parents de Pelchat qu’on ne connaît pas, pendant Sa jeunesse et des photos de lui-même et sa fratrie sur Hier Encore, n’aurait-il pas été plus judicieux de piger à même les riches archives de clichés sur Aznavour à Montréal où il a commencé sa carrière, des images de sa vie. Après tout, il s’agit d’un hommage à l’oeuvre de Charles Aznavour, un homme d’ouverture sur le monde.
Sur La bohème, il y a incongruence. La chanson se réfère à la vie de famine dans le célèbre quartier Montmartre où se trouve aussi Pigalle. Pourtant l’écran géant affiche le légendaire Café de Flore situé à Saint-Germain-des-Prés, haut-lieu des intellectuels et philosophes Cioran, Sartre, Ionesco et compagnie de l’époque… L’exemple est boiteux mais c’est comme si pour parler du Vieux-Montréal, on affichait une photo du Stade Olympique. Les Québécois voyagent à Paris, Monsieur Pelchat aussi je présume. Il faut corriger…
Pour finir, Claire l’épouse de Mario Pelchat est venue le rejoindre en dansant sur scène avec lui au rythme de la romantique Les Plaisirs démodés pour célébrer leur 25 ans de mariage!
Presque neuf mois après le décès de Charles Aznavour le 1er octobre 2018, les hommages continuent à se multiplier d’Erevan en Arménie aux pays de la francophonie. Mario Pelchat, qui avait été le trait d’union entre Paul Daraîche et Aznavour qui a accepté d’enregistrer Ces Noëls d’autrefois avec la vedette country, demeure un ambassadeur de choix pour perpétuer sa mémoire.