Pour celui ou celle qui s’est tenu au courant de l’imminence actuelle de temps téléologiques, les paroles (projetées au tympan de la scène) et la musique de la messe sacrée dite Requiem de Giuseppe Verdi sont parvenues droit au cœur des mélomanes au fait des événements. Ce qui fut jadis une messe d’hommage à Rossini aura pris désormais la figure d’annonciations lugubres et morbides avérées, car chacun reçoit la musique selon les affects qui l’habitent ou le hantent.
Immortalité de l’œuvre sur disque et en concert
Il existe de nombreuses approches et versions du Requiem de Verdi selon les chefs qui l’ont dirigé et gravé (dont Karajan avec Freni, Ludwig, Cossutta et Ghiaurov sur DG, puis Guilini avec Schwarzkopf, Ludwig, Gedda et Ghiaurov sur EMI, enfin Reiner avec Price, Elias, Björling, Tozzi sur LONDON) dans une espèce d’immortalité.
L’approche de Rafael Payare et Andrew McGill m’a semblé être proche de celle de Fritz Reiner en ce qu’ils ont créé une pénétrante ou progressive atmosphère de musique sacrée loin d’ambitions opératiques véristes. L’approche opératique est un domaine à part et les grands fervents de plus colorés étalages discourent à vide en ce qui sied à la nef d’une église ou d’une salle de concert agissant pour telle même avec son orgue majestueux, même amuï en son écrin Casavant.
La puissance atterrante des cors
Lorsque s’embrase l’enceinte sonore par l’éclat résonnant des trompettes où ces cors tonnent, il est vrai que les solistes même masculins (soit le ténor Oreste Cosimo et la basse Adam Palka) fassent figure d’évanescents sous le déluge, mais tant la discipline du chœur que de l’orchestre n’ont pas fait défaut et ont assuré les grands moments de recueillement à jamais inoubliables.
Un duo de cantatrices en symbiose de deuil
Tant de beaux moments vocaux trop nombreux à raconter! Par exemple lorsque Rihab Chaieb (mezzo soprano bien de chez nous) a tendrement pris la main de Joyce El-Khoury (soprano) et qu’elles ont chanté, à l’unisson, l’invocation à un jugement, pondéré à la faute, qui n’a pas songé aux horreurs du Temps présent? Le déchirement de l’urgence judiciaire est d’actualité.
Prenant progressivement vigueur au fil des sept parties traditionnelles de la liturgie catholique et selon maints déchaînements succédant aux vigoureuses déferlantes du Dies Irae (colères de Dieu), l’émotion, l’expérience musicale furent, dimanche 18 août, de profonde pénétration.
Le choeur et l’atteinte des points culminants
La qualité de la centaine de voix d’hommes et de femmes impressionna au plus haut point par sa finesse d’exécution, tout autant que la beauté spectaculaire des duos entre la mezzo Rihab Chaieb, la soprano Joyce El-Khoury. Ou leurs duos ou trios ou quatuors avec le ténor Oreste Cosimo et la basse Adam Palka.
Jusqu’au paroxysme
Rafael Payare assura donc l’harmonieuse unité de l’Orchestre surtout par sa haute tenue. Même rigueur en ses solistes aussi rutilants et tout fut à point au sein de chaque pupitre. C’est une chose sublime, pour moi qui ai, depuis quatre ans, presque déserté les salles, suite à cette pandémie affolante, d’entendre subitement le son si aérien, si distinct, de la flute de Timothy Hutchins et d’élever mon visage, presque contrit par cette musique eschatologique, me déportant vers la scène comme si j’assistais à une apparition, un présage ou un songe d’ange annonciateur apparu!
Le point culminant de l’œuvre au final avec Joyce El-Khoury implorant l’affranchissement au-delà de la libération de la mort couronna la représentation.
Enthousiasme et déferlement d’inquiétudes
L’époque alarmante dans laquelle nous vivons appelle en effet à un jugement sur les finalités des comportements (in)humains et requiert la consternation non résignée de chacun. Le portrait de l’impuissance humaine à sévir et la prière de contrition suivant le retour des tonitruances du Dies Irae (colères de Dieu répétées au-dessus de la foule des Hommes) ont trouvé de puissants moments à jamais gravés à notre mémoire d’humbles mélomanes enthousiastes.
Une Virée Classique 2024 comme nulle autre pareille auparavant?
Le succès fulgurant de la Virée Classique 2024 tant par l’abondance de sa fréquentation que par la qualité de sa riche programmation diversifiée annonce incontestablement un renouveau. Enfin un nouvel essor pour l’OSM qui a vu fondre l’enthousiasme pour mille raisons tristes forcément conséquent à cette horrible histoire de pandémie, et de panique accentuée, que chacun saura éviter d’explorer plus avant en ses causes pour avoir eu à en subir d’indéniables effets morbides.
La nouvelle cheffe de l’organisation musicale, Mélanie La Couture, venue s’adresser ou se présenter adroitement en bonne conscience au public en début de concert, aura toute les raisons de se réjouir de cet espoir de renouveau. Et d’implorer le public de s’abonner et de revenir.
La jeunesse en foule pour les Gurre Lieder?
Reste à voir si la programmation 2024-2025 préparée pour cette saison aura l’effet d’attirer les foules jeunes qui sont la seule planche de salut pour de nouvelles hordes générationnelles embrassant la musique classique. Ce sont des solistes jeunes, soit les fort talentueux gagnants des actuels concours de musique (que je suis friand à suivre partout sur la Terre) soit la nouvelle génération de virtuoses que l’OSM doit embaucher et faire figurer aux programmes.
Changement de garde urgent !
Eux seuls attireront les jeunes, sachant les métamorphoser en mélomanes. Eux seuls renouvelleront l’intérêt. Sans que je sois bien assuré que toute la frange audacieuse des œuvres jadis contemporaines des dits dodécaphonistes soit l’outil rêvé pour amener une société peu éduquée à la belle et grande musique (conséquemment à la facilité de nos écoles du plus bas commun dénominateur), il vaut quand même franchement la peine en septembre prochain d’ouvrir son esprit et son cœur au Gurre Lieder d’Arnold Schoenberg. Veillons-y!
Dimanche 18 août 2024, 15h. Maison Symphonique de Montréal. Rafael Payare dirige l’OSM et le Chœur de l’OSM préparé à juste titre par Andrew McGill dans le cadre de la Virée Classique 2024.