Ayant beaucoup décrite la finesse de Benjamin Grosvenor, en récital mémorable hier, dimanche 10 novembre, au Ladies Morning Musical Club, je me permets de souligner la beauté des couleurs qu’il a su faire surgir de l’instrument disponible dans les trois Intermezzis de Brahms opus 117. La partie centrale du no.3 fut caressée comme si Brahms eût songé (été 1892 à Ischl, à lire absolument, signée Claude Rostand, la biographie parue chez Arthème Fayard), par ces agencements sonores à évoquer l’existence providentielle de Debussy et Ravel, une évocation anticipatrice réussie par un toucher de grand maître.
Fantaisie sublime
On a entendu une grande Fantaisie de Schumann à la mesure de celles que rendait Claudio Arrau en concert dans les années 60-70: une déclamation titanesque d’amour passionnel enchevêtré des obstinations intermittentes évoquant celles du combat contre le père de Clara Wieck qui ne voulait pas que le jeune compositeur lui ravisse sa nubile fille, tendre et talentueuse. Le piano Yamaha a commencé, en ses basses fragiles, à décliner de sa chancelante éloquence, au cœur du difficile second mouvement.
Un Mussorgsky titanesque
Pour ce qui est de mes attentes face à sa version suprême, encore à venir, des dix Tableaux d’une Exposition Mussorgsky, la grandeur de l’absolue mémorisation et incorporation s’en vient puisqu’il me semble que nous avons entendu, dans les faits (que je devine), le programme de son prochain CD qui paraîtraît « d’ici 12 à 18 mois » nous a t-il confié en entretien après le récital, sans en révéler contenu.
Cachottier en ses intentions, Grosvenor tient en mémoire les trente pages de la truculente partition mais nous avons noté la tablette électronique postée au devant, en rabaissement, sur le cadre intérieur en métal moulé, une fois le porte-partition amovible retiré.
Logée dans cet espace discret, mes jumelles l’ont bien vue cette tablette fort intelligente qui tournait toute seule les pages de la partition, à l’astucieuse écoute de chaque phrase jouée, une occasionnelle béquille du texte pourtant admirablement rendu.
Le récital restera inoubliable, malgré ces basses presque affreuses du Yamaha qui peinent en silements douloureux. À chaque frappe fortissimo (ff) essentielle et constitutive (Bydlo, Catacombes, Baba Yaga, Grandes Portes de Kiev où c’est écrit, en plus, sempre maestoso!) les cordes silent: en somme, cet instrument n’était pas capable d’encaisser d’être empoigné et chevauché par ce fin cavalier fort colosse des îles britanniques jouant allègrement au cosaque venu contempler et ranimer la perception ou l’imagination de la beauté des tableaux exposés.
L’éblouissant Benjamin Grosvenor en récital, Salle Oscar Peterson, pour le LMMC