Bruce Liu est devenu, depuis trois ans, la superstar du piano classique et toute apparition de sa part à Montréal remplit au comble la Maison Symphonique. Sa belle présence au concert de l’OSM du 13 novembre à la Maison Symphonique confirme sa résilience à rester bien en selle malgré la bousculade de la notoriété transportant sa carrière à droite et à gauche, sur tous les beaux continents de la Terre, d’aéroports bétonnés en hôtels luxueux, vu, aimé, vénéré applaudi avec raison, tout partout. Procurez-vous son album Waves chez Deutsche Grammophon (DG 4864400) pour vous convaincre de son raffinement.
Sa prestation maintenue (et non annulée) avec l’Orchestre de Rafael Payare en sa Résidence, nous rassure de son affection sincère pour la ville où il a vécu et formé son talent.
Premier prix, Concours Chopin en 2021
Quiconque a connu Bruce Liu remportant le Concours OSM (2012) et couru ses fascinants récitals reconnaît sa démarche assurée à l’entrée sur scène, son détachement élégant comme s’il était transporté naturellement sur un nuage de musique aérienne et que son corps -voire son âme si distinguée- échappent aux lois de la gravité ou du temps maussade de novembre.
Son changement de concerto à 24 heures d’avis aux médias, à partir de celui d’Alexandre Scriabine si attendu et pour lequel on espérait une interprétation marquant à jamais l’histoire de l’interprétation pianistique, ce virage d’exécution à celui du troisième de Beethoven, fut certainement un choc inquiétant surtout pour les mélomanes l’apprenant au dernier instant du concert d’hier soir.
Souhaitons que ce ne soit que partie remise pour ce rendez-vous raté avec Scriabine, à Montréal, avec l’orchestre que les Montréalais adorent le plus parmi tous.
Bruce Liu sous intempéries imperceptibles
En l’apercevant entrer sur scène, j’ai remarqué immédiatement cet état non pas d’enflure de son visage mais un teint de fatigue contenue et le faux-pas dans la direction obstruée vers le podium par là inaccessible, puis se réorientant jusqu’à sa salutation déférente sans ce large sourire habituellement détaché, radieux d’aisance absolue et conforme à son naturel rempli d’aménité.
Néanmoins, inquiété comme je l’étais par ce subit ou tardif changement de concerto au menu, j’avais eu du temps pour accepter ma réelle déception de ne pas l’entendre dans Scriabine, mais plutôt dans le troisième concerto pour piano et orchestre en do mineur opus 37 de Beethoven, un concerto qu’il connaît par cœur, un atout à son répertoire depuis très longtemps.
Au final, Bruce Liu, n’a pas failli à la tâche, loin de là. Les phrases musicales et déclaratives d’entrée en matière sont limpides, le toucher satiné et de rhétorique assurée, les nuances magnifiques comme toujours avec ces trilles étincelantes ponctuant tout partout l’écriture de ce concerto noble, des ornementations cristallines sous ses doigts adroits qui ramènent le public au pur paradis musical viennois de 1803.
Une approche classique
En somme, une approche classique du concerto à la Solomon ou telle que les articulait l’adroit Alfred Brendel avec, en plus, un peu de cette fine originalité d’éloquence énergique comme la rendait émouvante aussi en atmosphère le grandissime Bruno Leonardo Gelber, pianiste argentin, à ses débuts en carrière (Seraphim-Angel S-60130).
Les acclamations furent plus qu’honorable pour Bruce Liu avec un rappel ultérieur très jazzé de variation sur la mélodie bien connue de Pour Élise (Fur Elise in Ragtime d’Ethan Uslan), cette mélodie dansante au piano adoré des enfants que nous reconnaissons tous aux premières notes.
La Symphonie Alpestre de Richard Strauss
Les 22 moments musicaux de ladite symphonie à programme de l’Allemand Richard Strauss offrent tant d’occasions et de moments forts où s’illustrent les solistes de chaque pupitre de l’OSM que de l’emporter comme pièce de résistance en Europe (avec la Symphonie fantastique de Berlioz) durant ces deux prochaines semaines de tournée de huit lieux (Londres, Paris, Luxembourg, Hambourg, Berlin, Amsterdam, Munich, Vienne) est une excellente idée de mises en évidence indéniables du talent de nos musiciens.
L’œuvre est, bien entendu, un putatif poème racontant une ascension en montagne: on y perçoit les moments forts d’une souvenance de cette randonnée d’adolescence d’un Richard Strauss qui laissa presque une quarantaine d’années à sa mémoire pour l’embellir.
Cascade, Sommet, Orage
L’ascension de la montagne commence avant l’aube, après des effets nets d’élévation, un premier moment de lever du soleil, puis une cascade magnifique émerveillante créant le premier émoi remarquable. L’arrivée au sommet après le franchissement d’un glacier est suivi du déluge d’un violent orage, puis d’éclaircies. L’orage reste le moment culminant imprévu et qui dure près de 3 minutes de feux d’artifices musicaux (du total des 50 minutes 5 secondes qu’a pris Rafael Payare pour tout le poème symphonique, comme Rudolf Kempe avec le Staatskapelle Dresden).
Une oeuvre irano-canadienne en tournée
L’œuvre intitulée Chaque arbre parle (Jeder Baum spricht) du compositeur Iman Habibi évoque supposément le fracas de la crise climatique par une incitation à l’espoir et l’action environnementale, un descriptif qui entre dans l’air du temps. J’ai trouvé l’œuvre assez intéressante, moins que chacune de celles entendues comme nouveautés contemporaines cet automne.
Ses moins de 7 minutes ne sont toutefois pas un apéritif amer: on y trouve une certaine originalité de paisibilité sonore sur laquelle on peut s’étendre en appréciations sans souhaiter absolument en faire une bien indispensable trouvaille.
Bruce Liu n’accompagne pas l’OSM en Europe, ce sera le pianiste Daniel Trifonov, passé ici en début de saison.