Le grand virtuose de la guitare classique, Raphaël Feuillâtre est entré fort élégant sur scène devant une salle comble. Jouant d’abord trois pièces introductives transcrites du clavecin à la guitare, il a saisi le micro pour lancer, interdit d’hésitation ou d’équivoque: « On peut parler français ici? » Et un immense « Oui! » unanime fut exprimé qui balaya l’absolu silence religieux de la salle.
Une écoute quasi monastique
Il est rare qu’un tel silence absolu soit si observé tout un récital au point que le froissement d’un tissu ou l’ouverture d’un sac à main pour y saisir une pastille soit trop audible et que le recueillement de chacun s’en trouve conscient comme s’il s’agissait d’un odieux irrespect en ce lieu sacré d’une église devenue salle de concert!
Le programme se déroulait comme annoncé ici-bas, à quelques omissions près, tels les premier et troisième mouvements omis du Concerto (à l’origine de Vivaldi) désormais accrédité à Bach qui ne l’a que transcrit du violon à la guitare (ou la mandoline).
Beethoven avait aussi écrit des sonatines, un adagio et un Thème et Variation pour l’instrument appelé mandoline. Hummel aussi, enfin l’instrument à cordes frottées ou pincées fut une gloire du baroque. Chaque corde résonne dans l’espace de la salle et en réchauffe l’ambiance d’une miraculeuse lumière .
Passages à la seule main gauche
La technique de Feuillâtre est d’absolue perfection: en témoignaient ces longs développements pour la seule main gauche virtuose, indépendante, un chant idéal, impeccable pour ces fameuses mélodies d’Espagne (Albéniz, Suite espagnole) et d’Argentine (Astor Piazzola).
Après l’entracte survenue après l’évanescente sonate de Scarlatti (omise, à moins que, plongé dans mes songes j’aie momentanément été, moi, le vrai disparu) le soliste fit place à des trésors catalans de Miguel Llobet Solés (1878-1938): c’était chaque fois le digne chant d’un virtuose à l’égal de Andrés Segovia, Alexandre Lagoya, Julian Bream, Angel Romero, Laurindo Almeida, Narciso Yépès, Ramon Cueto, Oscar Ghiglia…enfin la liste des anges séraphiques de la guitare classique est très longue.
Deux rappels
Les très grands musiciens virtuoses et solistes ont l’embarras du choix des morceaux mélodieux pour enchanter et apaiser le public en récital. En guise d’adieu, une pièce anonyme intitulée Jeux Interdits, d’une durée de deux minutes trente secondes berceuses, archi connue et chantée jadis par Frida Boccara et Dalida.
Eugène Ysaye, le plus grand violoniste de tous les temps avec Niccolo Paganini, tout comme Jascha Heifetz aussi, offraient tous, en récital, des florilèges de pièces brèves, des transcriptions et des airs connus pour emporter l’adhésion.
De grandes voix (oui…encore Frida Boccara) évoquaient la sérénité de la Chanson du Veilleur soit un air de la Cantate no.140 de Bach ou l’Aria Cantilena de la Cinquième Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos. Mais Raphaël Feuillâtre, lui qui ne reprit jamais le micro pour commenter ses choix, aura opté comme ultime trémolo d’évocation en rappel, celle de la sapience du Très Grand Créateur consolant les humains éplorés par les guerres meurtrières en cours: le Carnaval de Venise de Ferdinando Carulli (1770-1841).
Voilà l’onguent guérisseur de ces guerres, inévitables à l’horizon actuel, puisque la folie d’hideux hommes-nains, au pouvoir partout, étouffe toute raison plébéienne en ensanglantant l’existence ou en inondant de souffrances la Terre entière. Divertissons nos cœurs de récitals irréprochables en attendant la tragique conflagration finale.
INTERPRÈTE à la Salle Bourgie du MBAM
Raphaël Feuillâtre, guitare
PROGRAMME
COUPERIN Les barricades mystérieuses (arr. A. Fougeray)
J. S. BACH
Prélude n° 1 en do majeur, BWV 846 (transcr. R. Feuillâtre)
Concerto en ré majeur d’après Vivaldi, BWV 972 (arr. J. Perroy)
SCARLATTI Sonate en la majeur, K. 238
ROYER L’Aimable (arr. R. Feuillâtre)
DUPHLY Médée (arr. A. Fougeray)
ARCAS Fantaisie sur des thèmes de La traviata
TÁRREGA Trois préludes
ALBÉNIZ Asturias (Leyenda), tiré de la Suite espagnole n° 1, op. 47
LLOBET SOLÉS
Deux chansons folkloriques catalanes
Variations sur un thème de Sor, op. 15
BARRIOS MANGORÉ La Cathédrale
PIAZZOLLA Adios Nonino (arr. C. Tirao)
DYENS « Clown Down » (Gismonti au cirque), tiré de la suite Triaela
Crédit photo : © Stefan Höderath
Raphaël Feuillâtre : Site web