Le Théâtre Denise-Pelletier ouvre sa 59e saison avec À cause du soleil, une pièce d’Evelyne de la Chenelière, librement inspirée d’écrits d’Albert Camus, plus particulièrement du roman L’Étranger. La dramaturge ramène, entre autres, le personnage de Meursault (Maxim Gaudette), accusé d’avoir tué un Arabe en plein jour sur la plage, à Alger. D’autre part, un immigré algérien devenu québécois fait irruption dans le récit. Le jeune Medi (Mustapha Aramis) est rongé par les remords après avoir ignoré un appel à l’aide lors d’une tempête de neige à Montréal. Deux époques. Deux histoires. Où cela mène-t-il ?
De la colère à la sérénité
Sommes-nous pleinement responsables de nos actes ? C’est l’une des grandes questions que soulève Camus dans son célèbre roman paru il y a 80 ans cette année. Rappelons que Meursault plaide qu’il a commis un meurtre à cause du soleil, ce qui déclenche des éclats de rire dans l’audience ! L’homme soutient néanmoins qu’il a ouvert le feu alors qu’il était aveuglé par la sueur et ébloui par le reflet du soleil sur la lame du couteau de sa victime. Cet argument ne convaincra toutefois personne et Meursault sera condamné.
L’accusé questionne aussi les fondements de la justice, en soulignant qu’au cours de son procès pour meurtre, on l’a longuement interrogé sur son comportement lors de l’enterrement de sa mère. Le fait qu’il n’ait pas pleuré la mort de sa génitrice est-il un facteur aggravant ? Homme de nuances, Maxim Gaudette porte Meursault de la colère à la sérénité. Ce comédien fait preuve de tout un savoir-faire !
Pour sa part, l’excellent Sabri Attalah interprète l’Arabe avec dignité. Voix puissante. Diction sans faille. Cet homme sans nom dévisage le public en détaillant le fardeau de sa condition d’étranger. Percutant !
D’Alger à Montréal

Crédit : David Ospina
Les multiples couches de lecture qu’offre l’univers camusien contrastent avec le discours fort répétitif des personnages créés par de la Chenelière. Essentiellement, Medi nous ramène sans cesse à ce soir de tempête où il a peut-être entendu un appel à l’aide, sans y répondre, ce qui s’est traduit par la mort d’une femme. Un peu comme Meursault, il estime ne pas être pleinement responsable de la situation. S’il avait entendu clairement, il serait intervenu, répète-t-il. Avec son indéniable sensibilité Mustapha Aramis nous fait partager le déchirement intérieur de Medi, mais son rôle demeure un peu mince.
L’homme tourmenté doit aussi composer avec la colère de sa copine Camille (Mounia Zahzam). Loin de compatir avec lui, la jeune femme vocifère qu’elle ne peut accepter de fréquenter un partenaire qui a laissé mourir quelqu’un par manque de courage. Difficile pour la comédienne de se démarquer avec un personnage dont le discours se résume à culpabiliser celui qu’elle est censée aimer.
Entre l’ombre et la lumière
Le ton est plutôt acrimonieux mais, heureusement, la mise en scène de Florent Siaud est harmonieuse. Les comédiens réussissent à habiter tous les recoins de la grande scène du TDP. Leurs déplacements assurent un certain dynamisme au spectacle, même si la plupart du temps, on parle de faits qui sont déjà passés. Il y a aussi une surface tournante intégrée au plateau; cela contribue à donner l’impression que l’action change de lieu. Paradoxalement, même s’il est souvent question de soleil et de plage, le décor et les projections sont plutôt sombres.
Enfin, malgré les belles qualités des interprètes, on n’est rarement ému par les protagonistes de ces deux époques qui n’arrivent pas à se fondre dans une même histoire. Rassembler des personnages de Montréal et d’Alger créés à 80 ans d’intervalles était un défi périlleux qui n’a pas été pleinement relevé.
À cause du soleil
Texte : Evelyne de la Chenelière, d’après l’oeuvre d’Albert Camus
Mise en scène : Florent Siaud
Interprétation : Maxim Gaudette, Mustapha Aramis, Sabri Attalah, Mounia Zahzam, Daniel Parent, Evelyne Rompré
Au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 15 octobre
Photo d’accueil : Maxim Gaudette / Crédit : David Ospina