Le Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) présente à l’Espace Libre, le deuxième volet de sa trilogie portant sur la présence au théâtre. Après Animaux en 2016, voici Bébés. Les protagonistes – sinon principaux, au moins remarquables – sont quatre poupons. La pièce prend le parti de nous raconter la genèse du bébé en tant qu’être. La forme repose sur le charme de ses jeunes interprètes, mais qu’en est-il du fond?
L’idée originale de Daniel Brière et Alexis Martin l’est, sans équivoque. D’autant qu’il ne s’agit pas ici d’utiliser les bébés pour illustrer un propos, mais bien de se questionner sur leur développement comme être à part entière, à travers leurs perceptions. Pour ce faire, les parents (les vrais!) sont mis à contribution. Et par leurs textes et leurs gestes, on découvre comment un bébé peut appréhender les surfaces, les objets, son espace, son déplacement…
À la limite du spirituel, le bébé est considéré dans sa capacité à évoluer. Entre ces tableaux se glissent bien sûr des textes plus « adultes », oscillant entre comique et drame. La plume cinglante d’Alexis Martin reconnaissable entre mille met d’ailleurs la table de manière très abrupte dès le premier monologue.
Mais soyons honnêtes : il y a quelque chose de dérangeant, plusieurs en fait. Tout d’abord, on ne peut faire l’impasse sur la multiplication des Ooowww !!! inévitables. Tout est prétexte à la manifestation assumée de son approbation ou de son empathie : une chute, des tatas, de la main, une risette hors propos… La question se pose : est-ce que les textes déclamés par les adultes ont une réception optimale ? Ou bien est-ce que l’objet de l’attention reste le bébé ?
Le monologue d’Ève Landry en est la parfaite illustration : alors que le cœur de son personnage balance à s’en écœurer entre épuisement et amour inconditionnel, le public – dans une significative majorité – n’avait d’yeux que pour les mignonnes et mignons. Disons que l’opposition entre la force des mots et l’insouciance de la scène n’était pas dénuée d’intérêt.
Et puis, il y a des questions plus délicates… Notamment, la scène de dispute entre Philippe Ducros et Klervi Thienpont – couple dans la vie – avec leur propre bébé dans les bras. L’enjeu ne se situe pas dans la compréhension, mais bien dans le ressenti. Est-ce que le bébé perçoit l’animosité entre ses parents ? La question reste ouverte…
L’autre interrogation se porte sur la dualité des parents : l’investissement maladif de la mère, le détachement refoulé du père. Au Québec tout du moins, est-ce encore la généralité ? Est-ce que l’image que véhicule l’homme comme parent est à ce point négative ? La question de la femme « réduite » à la fonction de mère surprend moins. Même si l’actualité démontre que les valeurs féministes reprennent des forces, le chemin est encore long…
La démarche est inattendue, attachante, elle interpelle, interroge. Elle suscite les débats, éveille les discussions… et ok… nous fait faire des Ooowww…
Crédit photo : Marlène Gélineau-Payette
Durée du spectacle : 1h10 selon la volonté de ses jeunes interprètes
Bébés est présenté à l’Espace Libre jusqu’au 19 mai.
Idée originale : Daniel Brière et Alexis Martin
Texte : Emmanuelle Jiménez et Alexis Martin
Mise en scène : Daniel Brière
Distribution Philippe Ducros, Klervi Thienpont et bébé Élora, Nadine Louis et bébé Lorian, Ève Landry et bébé Louis, Tienhan Kini et bébé Tinwah et la participation de Jacques L’Heureux. Avec la voix d’Anne Dorval