L’un des événements culturels de cette fin d’année à Paris était le passage sur la scène du dôme de Paris de Charles Aznavour. Le légendaire auteur-compositeur se permettait une halte parisienne pendant son interminable tournée mondiale qui le conduira, dès janvier 2017, au Brésil. Rien que ça.
Tout a été dit sur Aznavour, son caractère inoxydable, son statut de monument national voire international, sa voix redevenue brisée, son prompteur. Les forces et faiblesses du personnage font de lui ce monsieur attachant, passionné et passionnant, voguant entre modernité des textes écrits et interprétés et nostalgie de la chanson française de qualité.
Parce qu’elle est de qualité, il n’a de cesse de le rappeler sur scène : « Quand un jeune chanteur vient me voir, je lui conseille de jeter son dictionnaire de rimes pour prendre un dictionnaire de synonymes. » Ses mots sont justes et le public le reconnaît bien volontiers. Alors pourquoi revenir sur scène à peine un an après son passage mémorable au Palais des Sports de Paris, en septembre 2015 ? Mais tout simplement parce qu’il voulait surprendre. Oui surprendre.
La première partie de son tour de chant a connu une faille, mais pas de sa part. Soyons honnêtes, pour une comédie musicale, le Dôme de Paris est totalement approprié : Belle scène, bonne disposition de la salle. Pour un récital de deux heures (sans entracte s’il vous plaît !) de chanson, cela s’avère beaucoup plus difficile. Le son de cette salle est absolument affreux. Les premiers titres du tour de chant sont un peu inaudibles, mais rapidement la beauté des textes du Grand Charles et la puissance de sa voix prendront le pas sur une instrumentation parfois trop présente. Pour cette rentrée Charles Aznavour avait prévenu, il y a aura des surprises…
Effectivement. Comme d’habitude on pourrait parler de la maîtrise du texte, de la voix puissante et chaude avec ses éraflures auxquelles le public s’était à nouveau habitué, de l’incroyable forme d’un homme de plus de 92 ans, droit sur scène, impeccable dans sa tenue, de son humour. Mais la surprise n’était pas là. Nombre de grands fans (dont je fais parti, avouons-le) furent déçus des enregistrements publics de 2015. Si le récital fut impeccable, les titre sélectionnés étaient surtout pour les néophytes, ceux qui ne connaissaient pas en profondeur l’oeuvre du Grand Charles. On retrouvait alors sur l’album les grands classiques mais certaines merveilles exhumées des archives avaient disparues. Regrets éternels avec l’absence totale du titre “Des ténèbres à la lumière” qui avait fait frissonner la salle entière. Charles s’en est souvenu. En explorant les différents récitals de sa carrière, on ne peut s’empêcher de penser au Palais des Congrès de 97/98. A cette époque, il y a déjà 20 ans, Charles avait interprété des titres oubliés : “Un par un”, “Tout s’en va”, “Mais c’était hier”… L’exercice lui a plutôt plu, il l’a réitéré cette année.
Car c’est un tour de chant à destination des fans qui s’est déroulé mercredi soir. Bien sûr les plus grands classiques étaient présents mais qui se souvient aujourd’hui de certains titres interprétés sur scène au Palais des Sports ce 21 décembre.
Et il nous les offre comme des joujoux. A l’introduction de sa 3ème chanson, “Viens m’emporter”, le maître interrompt son orchestre et demande “un accord majeur, en Fa, sur un rythme de valse.” Le public rit, l’orchestre s’exécute et débute un extraordinaire “Plus bleu que tes yeux”, chanson écrite pour Edith Piaf en 1953. Le public est conquis. Mais ce n’est pas la seule merveille de cette soirée. La magnifique “Voilà que tu reviens”, qui n’avait pas été chantée sur scène depuis 1976 à l’Olympia, s’invite magistralement, avec une orchestration toute en douceur, interprétée par un Charles assis, mélancolique. “L’amour fait mal”, tiré de l’album “Insolitement vôtre” claque sous les notes du prodigieux orchestre d’Eric Wilms, et le désormais classique “Avec un brin de Nostalgie” coupe définitivement le souffle des spectateurs : Avec pour seul accompagnement un piano (Magistral Erik Berchot) et un accordéon (Tendre Magali Ripoli), c’est dans cet exercice qu’excelle Aznavour. Seul avec un piano, la formule mérite d’être approfondie pour de futurs récitals. Ce moment de magie, on le retrouvera par deux fois. “Sa jeunesse” prendra tout son envol, interprétée tel une pièce de théâtre classique par un Aznavour pesant chaque mot, chaque syllabe de son texte et “Parce que” nous saisira d’émotion. Le titre de 1953, qui n’avait pas été interprété à Paris depuis le Palais des Congrès de 1987 emprisonne le chanteur dans une cage de lumière (Voir photo d’illustration) qui se dissipe sur “Parce que je suis au seuil d’un amour éternel, je voudrais que mon coeur n’en porta pas le deuil”. Sublime.
Et puis Charles Aznavour va évoquer l’oeuvre de Marcel Pagnol à travers l’oubliée “Je reviens Fanny”, sortie en 168, et le Maroc et ses délices par “T’en souvient-il”, sortie en 2007. C’est donc un voyage dans son oeuvre plus intime que Charles Aznavour nous offre, au grand plaisir de ses admirateurs qui non contents de voir l’homme sur scène, d’entendre les classiques, peuvent également redécouvrir des textes et mélodies qui leur tirent une larme, un souvenir, une émotion.
Mais Charles n’oublie pas l’essence de sa légende, les grands titres qui doivent obligatoirement figurer dans un de ses tours de chant sont présents. “L’Avé Maria” est impeccable, “Mes emmerdes” et “Les plaisirs démodés” swinguent, “Désormais” survole la salle par la puissance de la voix, “Les deux guitares” électrisent définitivement une foule qui se jettera au pied de la scène dès les premières notes de “La Bohème”. Plus d’une centaine de personnes fond sur l’avant scène pour admirer de prêt, pour presque toucher, la légende, au point que les premiers rangs doivent se lever pour profiter encore un peu de l’artiste, du jamais vu dans un concert d’Aznavour. Le final, “Emmenez-moi” est chanté sourires aux lèvres par l’artiste et repris en choeur par un public déjà debout pour l’ovation tant méritée. Une déception ? “Il faut savoir”, chantée en Italien, le titre méritait à nouveau ses lettres de noblesse dans la langue de Molière. Mais que c’est peu de choses comparé à une vraie leçon de chanson et de scène, donnée pendant deux heures devant un public sonné par la performance. Et dire qu’il pleuvait à l’extérieur…
Charles Aznavour – Palais des Sports de Paris – les 26 et 28 décembre 2017
Photo : “Parce que” – Devanture du Palais des Sports
Liste des chansons du récital
1/ Les émigrants
2/ Je n’ai pas vu le temps passer
3/ T’espero
4/ Paris au mois d’août
5/ Plus bleu que tes yeux
6/ La vie est faite de hasards
7/ Voilà que tu reviens
8/ L’amour fait mal
9/ Avec un brin de nostalgie
10/ Devi Sapere
11/ Mourir d’aimer
12/ Je voyage
13/ Sa jeunesse
14/ Je reviens Fanny
15/ Mon ami, mon judas
16/ T’en souvient-il
17/ Désormais
18/ Parce que
19/ Ave Maria
20/ Mes emmerdes
21/ She
22/ Hier encore
23/ Les plaisirs démodés
24/ Comme ils disent
25/ Les deux guitares
26/ La bohème
27/ Emmenez-moi
La tournée se poursuit:
Paris | 26.12.2016 | Palais des Sports | |
Paris | 28.12.2016 | Palais des Sports | |
Madrid | 31.01.2017 | El Corte Inglés | |
Santiago De Chile | 11.03.2017 | Teatro Caupolican | |
São Paulo | 16.03.2017 | Espaço das Américas | |
Rio de Janeiro | 18.03.2017 | Vivo Rio | |
Moscou | 05.04.2017 | Kremlin |
http://www.charlesaznavour.com