Une très belle conférence-hommage à propos du compositeur américain Charles Ives (1874-1954), en fin d’après-midi du samedi 12 octobre à la Salle Bourgie, nous avait préparé à ouvrir notre cœur et nos yeux à cette fameuse sonate Concord que l’interprète Louise Bessette donna avec partition et flûtiste, en récital, le soir même.
Programme littéraire intrinsèque
Ayant oublié sur place mon carnet de notes musicales (qui j’espère me reviendra par prodigieuse chance), j’écrirai de mémoire ce que j’ai retenu de la riche conférence nous informant, en vraie corne d’abondance, de tout ce qui se trouve toujours à Concord, état du Massachussets.
Je croyais connaître la ville de Concord pour y être passé à 20 ans lors d’un ambitieux voyage estival à vélo entre Montréal et Provincetown au Massachussets…mais non: mon premier arrêt fut à Concord New Hampshire, rien à voir. À Concord Massachussets, on célèbre 4 écrivains de renom à l’intitulé de chaque mouvement de la sonate no.2 dite Concord .
Mouvements Emerson, Hawthorne, Alcott, Thoreau
La sonate comporte quatre mouvements à l’honneur de quatre écrivains américains fort célèbres: Ralph Waldo Emerson (1803-1882), Nathaniel Hawthorne (1804-1864), Louisa May Alcott (1832-1888), David Thoreau (1817-1862). On parle de mouvement artistique baptisé le transcendantalisme et je crois que Jean-Jacques Rousseau et ses Rêveries de promeneur solitaire trouvèrent là, en ce mouvement, des échos plausibles à sa pensée de premier environnementaliste imaginant un homme naturel fondamentalement bon (1755, Second Discours) que la société corrompt inévitablement.
Tous ces écrivains américains ont vécu et marqué la ville de Concord, une ville d’appellation prédestinée à souhaiter ou espérer la paix entre les Hommes et l’harmonie cruciale avec la nature, deux choses nous manquant cruellement jusqu’à devenir des tares assurément délétères.
Danbury, Connecticut et son musée Ives
M’était inconnue la ville de Danbury. C’est la ville natale du compositeur américain, située au Connecticut où existe un musée d’artéfacts appartenant ou célébrant le compositeur et dont les enthousiastes conservateurs s’étaient déplacés, samedi dernier, à la conférence avec des objets jadis possessions du compositeur et un buste de cet investisseur en assurances qu’on met à l’honneur.
Un bâton de 14 pouces pour frapper plus
La sonate de Ives qui se joue, à un moment donné, avec un bâton de 14 pouces de long pour frapper plus de notes qu’un coude ou une main le pourrait (on dit « cluster » en langue américaine), si cette sonate constitue un hommage littéraire intrinsèque à l’œuvre de grands écrivains il y a aussi qu’un flûtiste apparaît au dernier mouvement (et un altiste au tout premier) quoique d’optionnels collaborateurs. Celui qui joua le fragment de flûte se nomme Jeffrey Stonehouse.
La sonate est d’éloquence étanche, remplie de suites de sonorités atonales, d’idées jaillissantes sans facilité de mémorisation spontanée de ses phrases. Il y a bien, aussi, des rappels mélodiques, tous fort partiels, c’est-à-dire d’un hommage putatif rendu à la cinquième symphonie de Beethoven comme supposé monument sonore référentiel.
Une Louise Bessette digne, élégante, inchangée
Quarante ans me séparait du dernier entretien avec cette désormais professeure de piano du Conservatoire de musique de Montréal. Toujours cette voix franche, sincère, cette volonté déterminée à connaître les faits, très férue de genèse textuelle (c’est l’équivalent de fouiller les manuscrits du roman Emma Bovary avec les annotations de Gustave Flaubert dans les marges du manuscrit original avec les réflexions, les dessins, les ratures du moment créatif) en parcourant la partition originale de la sonate.
On l’a vue cette partition en nombreuses photos, pleine de ratures et de citations ou de commentaires que détient encore précieusement la bibliothèque de Yale University où madame Bessette est allée s’enquérir des faits. Louise Bessette a toujours la même démarche de fier bonheur, celle de ses années d’étudiante déterminée à explorer à fond la musique contemporaine et j’ai reconnu la joviale expression de son corps élégant exprimant la conscience d’avoir réussi son objectif, soit ce projet Ives jusqu’au bout.
Préambule musical de la Nouvelle-Angleterre
Quelle bonne idée de la part de l’artiste de nous donner en première partie de récital les pièces New England Idyls opus 62 de Edward MacDowell (1960-1908) comme mise en contexte! Il s’agit d’un autre compositeur américain mais contemporain du Morave Léo Janacek (1854-1928) auteur de pièces presque apparentées baptisées Sur un sentier broussailleux, plus exactement contemporain du Catalan Isaac Albéniz (1860-1909) auteur des quatre cahiers fabuleux intitulés Ibéria, bien entendu contemporain de l’inégalable Français révolutionnaire Claude Debussy (1862-1918) dont l’œuvre pianistique a fait époque, mais aussi du Russe Alexandre Scriabine (1872-1915) créateur de centaines de miniatures désignés tout simplement Préludes ou Études pour le piano. Enfin il y aurait aussi le créateur des Pièces lyriques soit Edward Grieg (1843-1907) en ses chantants miniatures plus imaginatifs encore.
D’autres contemporains pour comparer
J’ai nommé délibérément ces pièces musicales d’autres compositeurs pour illustrer combien l’éclat de la musique américaine de Ives ou MacDowell se relativise avec ce qui se fit ailleurs. Contemporain de l’Andalou Manuel de Falla (1876-1946), du Russe Igor Stravinsky (1882-1971), bien entendu de Gabriel Fauré (1845-1924), cet avant-gardiste d’Ariège s’il en fut parmi les plus oubliés, et de l’humoristique Francis Poulenc (1899-1963), le valeureux financier et compositeur Charles Ives figure comme contraste éloquent d’intellectualisme pur, quoi qu’en ait dit ou écrit d’élogieux monsieur Arnold Schonberg (1874-1951) dont nous venons de jouir des Gürrelieder à l’OSM, il y a peu.
Grande modernité d’écriture atonale
Comme le programme du récital sous la plume de Réjean Beaucage le décrit très simplement, c’est une musique « de grande modernité où l’écriture atonale côtoie les citations de musique populaire ». Après considération reconnaissante pour cette conférence et ce récital édifiant, sans oublier un disque ATMA classique de collection, je persiste à opiner que la plus grande Oeuvre globale américaine pour le piano reste celle, en ce moment, de la production de l’homme auteur de la fabuleuse Sonate-son chef-d’œuvre, soit Samuel Barber (1910-1981).