Il y avait une sorte d’euphorie printanière à la première montréalaise du nouveau spectacle d’Émile Proulx-Cloutier. Même si une poudrerie digne de janvier balayait les rues, on venait voir Marée haute avec la foi des Montréalais qui assistent aux symphonies portuaires, confiants de voir cet événement officialiser la fin de l’hiver. Pour ajouter à la solennité, le clan Proulx-Cloutier s’était déplacé au Théâtre Outremont. Émile allait donc se produire devant son père et sa mère comédiens, à qui il doit sans doute une part de son aisance sur scène. Anaïs Barbeau-Lavalette, romancière, serait émue avec nous d’entendre son homme chanter: «Nos kids qui regardent le monde C’t’encore plus beau que le monde tout seul».
Bien sûr, depuis l’époque où il faisait escale au Petit Outremont, avant même l’existence d’Aimer les monstres, Proulx-Cloutier a beaucoup navigué et ça s’entend ! On brise la glace, comme il se doit, avec les deux premières chansons de Marée haute, un album qui ressort du paysage musical québécois actuel. Le réalisateur du disque et violoniste Guido Del Fabbro est d’ailleurs sur scène aux côtés des multi-instrumentistes Étienne Ratthé, Benoit Rocheau et Guillaume Bourque. Violoncelle, trombone harmonisé, clarinette basse, deux batteries, etc. Vous aurez compris que les orchestrations ne sont pas de celles qui accompagnent habituellement la chanson populaire. Humble, Émile dira d’ailleurs qu’il ne comprend pas que ces musiciens de haut calibre acceptent de jouer avec lui.
Le chanteur et son équipe sont intenses! Il y a déferlements de mots et de notes! D’ailleurs, bien que les paroles soient primordiales dans les chansons de cet auteur-compositeur, nous en avons souvent perdu sous ces arrangements étoffés. L’artiste a remercié son sonorisateur Maxime Leclerc en soulignant qu’il avait travaillé très fort, mais il faudrait s’appliquer encore davantage à rendre les mots toujours audibles.
Accostage réussi
Parmi les grandes émotions de la soirée, il y a Maman, cette adaptation de Mommy popularisée par Pauline Julien. Ici, c’est une enfant autochtone qui interroge sa mère: «Maman maman pourquoi on nous fait vivre à part? Ô maman pourquoi tout l’monde s’est mis à boire?»
Notre audacieux capitaine nous entraînera même sur les eaux troubles de l’aide à mourir, avec la bouleversante Derniers mots: «Finie la comédie débranchez-moi tout ça – Ces tubes dans mon ventre ces tubes dans mes bras – Mourir à petit feu non très peu pour moi». Émile, volubile, évoque aussi les fantômes des théâtres et au moment où il fait jaillir de son piano les premiers accords de L’Enfant Scaphandre, on se croirait transporté chez le grand Claude Léveillée.
La gamme des émotions se prolonge dans les rires, quand l’auteur de Madame Alice glisse quelques mots sur Staline et Marie-Antoinette avec une légèreté qui ne déplairait sans doute pas à Louis-José Houde.
Prendre le large
Enfin, ce bel équipage part en tournée. Parions que les vents seront favorables. Déjà, on prévoit une nouvelle représentation au Théâtre Outremont, le 20 avril. Si la Marée haute se pointe près de chez vous, ça pourrait être l’occasion d’une mémorable promenade sur l’eau.