Le 11 juin dernier, les artisans du film Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles se sont arrêtés à Québec, lors de leur tournée de promotion, pour présenter le film au cinéma Le Clap Ste-Foy. La scénariste et réalisatrice Lyne Charlebois, accompagnée de l’actrice Mylène Mackay et l’actrice Sylvie Moreau ont bien voulu répondre à mes questions.
Synopsis Le Frère Marie-Victorin se lie d’amitié avec son étudiante Marcelle Gauvreau. Tous deux ont frôlé la mort et partagent le même amour de Dieu et de la nature. Plus tard, elle devient sa collaboratrice. Dans un échange épistolaire qui durera jusqu’à la mort de Marie-Victorin, ils explorent les désirs humains et la « biologie sans voile ». Ce grand amour chaste, l’amour de la flore québécoise pousse Antoine et Roxane, qui les incarnent à l’écran, à s’interroger sur leur propre rapport à l’amour et à la Nature.
Lyne Charlebois scénariste et réalisatrice
Vous a adapté l’échange épistolaire entre Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau, pour en faire un scénario de film. Tout un exploit. Comment avez-vous réussi à en faire une histoire si intéressante à suivre, à partir de lettres ? « C’est quelque chose effectivement. Cela m’a pris quatre années et le résultat final est vraiment très loin des premières versions du scénario qui étaient très mauvaises au départ. Tout d’abord, j’ai lu toutes les lettres de Marie-Victorin et elles n’étaient pas encore publiées en livre. J’ai donc tout lu et créé trois dossiers, comme trois tomes, trois parties de vie différentes, pour m’y référer puis j’ai enfin pu obtenir les lettres de Marcelle, et j’ai inséré ses réponses dans les dossiers, aux bons endroits. Lors de mes lectures, je suis passée par une grande gamme d’émotions. Surtout, j’avais l’impression de ne pas avoir le droit de lire leur correspondance, comme si c’était le journal intime de mon adolescent. Ensuite, wow! Ils parlent tellement bien, sans être pourtant pornographiques. C’est poétique, tout en allant droit au but. Saviez-vous que même après la mort de Marie-Victorin, Marcelle a aussi continué à correspondre avec la prostituée qui a montré à ce dernier comment une femme peut atteindre l’orgasme ? Elle est vraiment fantastique Marcelle, je n’en reviens pas. Et l’amour qui transparait dans leurs écrits, c’est tellement beau, à en pleurer. J’ai donc fait mon scénario à partir de ces trois tomes. Je notais les lettres que je voulais ramener dans chacune des trois sections du film, par exemple, les premières années, et j’avançais petit à petit. Ensuite, j’ai eu l’idée d’ajouter le côté contemporain à l’histoire, pour en faire autre chose que juste un biopic, mais en même temps, je ne voulais pas en faire un procès sur la religion. Je voulais aller ailleurs et donc, pourquoi ne pas en faire un parallèle entre deux époques. Je voulais que l’on montre le triangle amoureux entre ces deux êtres et Dieu, en parallèle le triangle amoureux entre Roxanne, Antoine et la femme d’Antoine. Et aussi montrer comment l’amour n’a pas évolué au fil des ans. »
Dans ce film la nature est un personnage et on voit la flore dans toute sa splendeur. Cela est tourné aux îles de Mingan, à Oka et dans les Cantons-de-l’Est. Et à Cuba. Comment avez-vous filmé tous ces merveilleux endroits et cette magnifique flore laurentienne ? Écoutez-la parler de la flore laurentienne 1 et flore laurentienne 2
La musique est magnifique et elle est signée par Vivianne Audet, Robin Joël Cool et Alexis Martin. Il y a même un album qui est sorti avant le film sur les plateformes. Comment s’est fait le choix de cette association et cette musique ? « J’avais déjà travaillé avec eux sur une série télé. Je les adore. Ils sont tellement fins, en plus d’être bons. Pour faire cette trame sonore, ils ont lu le scénario. Ils ont vraiment compris le film. Et comme je ne suis pas très musicienne, je leur ai laissé le loisir de me proposer quelque chose et c’était fantastique. Je sais ce que j’aime et surtout ce que je n’aime pas. Par exemple, je n’aime pas trop la flûte, donc il ne faut pas en mettre beaucoup. Sinon, je ne peux pas dire que je suis très directrice pour la musique. Ils ont proposé de quoi et j’ai tout de suite aimé. »
Mylène Mackay, rôle de Roxanne et de Marcelle Gauvreau
Pourquoi vouliez-vous jouer dans ce film ? «Tout d’abord, le fait que ce soit justement deux rôles à jouer à la fois, cela m’intéressait beaucoup. Mais aussi, je connaissais déjà le personnage de Marcelle Gauvreau, l’ayant joué déjà dans le film Les fleurs oubliées d’André Forcier, mais dans un tout autre registre. Donc, j’avais lu les lettres qu’elle avait écrites et j’étais familière avec son histoire et j’avais vraiment envie de jouer cette femme qui a apporté autant de bagages scientifiques à la Flore laurentienne.»
Comment avez-vous obtenu ce rôle de Roxanne, une actrice qui joue Marcelle Gauvreau ? « En audition. Je sais qu’au départ, Lyne ne voulait pas que ce soit moi qui joue Marcelle, car je l’avais déjà joué avant. Je n’ai pas pu auditionner devant elle. Alors, je lui ai envoyé une vidéo de mon audition afin qu’elle me reconsidère pour le rôle. Et je l’ai eu. »
Dans le film, le personnage de Marcelle marchait en boitant. Pourquoi ? Écoutez-la parler de marcelle
Parlez-moi justement du fait que ce soit une actrice qui incarne Marcelle dans un film ? «Lyne ne voulait pas faire un biopic normal. Elle voulait avoir une réflexion sur l’amour.» Écoutez-la parler du parallèle des époques
Vous avez déjà lu les lettres qu’ils se sont écrites, publiés aux Éditions Boréal avant de jouer ce personnage. Ils sont intéressés par la flore et la reproduction des plantes, mais aussi par le sexe et la reproduction humaine, vous en pensez quoi ? « Quand je lisais les lettres, j’étais gênée, d’avoir l’impression d’envahir leurs secrets, de lire leurs journaux intimes. Je n’ai jamais écrit quelque chose d’aussi intime. Cela vient en fait de l’interdit et du fait qu’ils ne connaissent pas leur corps et ils sont deux êtres extrêmement curieux. Et je les comprends. Si tu n’as pas accès à l’autre corps et que tu ne te maries pas, tu as quand même le goût de comprendre. Et Marcelle, autant elle a une grande pudeur, car ce sont des sujets tabous, autant, vu qu’elle fait des recherches, une étude, elle prend une distance scientifique qui lui permet de parler de manière mécanique de la flore féminine de la même façon qu’elle parle de la flore laurentienne. Cela devient comique à l’écran, mais en même temps, le sexe, c’est une curiosité égale à celle qu’elle a pour les végétaux. »
En passant, avec la sortie du film, les deux livres contenant l’une les lettres de Marcelle et l’autre les réponses de Marie-Victorin, sont maintenant disponible sous un seul livre, un seul format, toujours aux éditions Boréal, avec la photo de l’affiche du film comme page couverture. Cela s’appelle Lettres sur la sexualité humaine. »
C’était comment de jouer avec Alexandre ? Écoutez-le parler d’alexandre
Quel a été votre plus grand défi pour ce rôle ? « Je pense que le plus difficile a été la première fois qu’on a dû changer d’époque à contemporain. Je m’attendais que ce soit plus facile que cela. C’est la transition qui était difficile à faire, car on était tellement dans une langue différente et dans un corps dont la posture était très droite, avec toujours une économie de mouvement. Et ensuite, il y a la coiffure et le costume qui nous ancrent dans une autre époque et en une phrase, je dois me ramener au contemporain, changer de posture et parler autrement, à la québécoise actuelle, tout cela dans un autre habillement. C’était toute une dichotomie, une véritable étrangeté, dont on n’était pas sûr que cela fonctionne. Alors on a fait confiance à la réalisatrice pour nous rassurer. »
Lyne justement est comment comme réalisatrice ? Écoutez-la parler de Lyne la réalisatrice
Sylvie Moreau (mère supérieure)
On vous voit moins souvent à l’écran, puisque vous êtes enseignante à École National de théâtre et vous êtes coach à la LNI maintenant. « Oui effectivement et je fais aussi encore du théâtre. J’aime encore beaucoup cela faire du théâtre. »
Pourquoi étiez-vous intéressée par ce rôle ou par l’idée de jouer dans ce film ? « Il y avait naturellement le scénario qui me plaisait… et c’est Lyne Charlebois qui m’a proposé ce rôle. Elle m’avait vu jouer au théâtre et pensait que je serais bonne pour ce rôle. J’ai été très contente qu’elle pense à moi. » Écoutez-la parler de ce role_de_mère_supérieure
Vous avez été choyée aussi au niveau du costume pour interpréter votre personnage. « Oui c’était vraiment le fun. Merci à Sophie Lefebvre qui faisait les costumes justement et qui voulait que ce costume soit vraiment très réaliste et fidèle à cette époque. Cela aide à se mettre dans la peau du personnage avec un tel costume. Je peux dire que j’ai vraiment eu la possibilité de vivre plusieurs journées dans la peau d’une mère supérieure de l’époque, avec ce gros costume là qui protège, mais enferme en même temps.»
Elle est comment Lyne Charlebois comme réalisatrice ? « C’est une femme formidable. Cela a cliqué tout de suite entre nous. C’est une réalisatrice très aguerrie, qui a une vision très claire de ce qu’elle veut faire. En même temps, elle est toujours curieuse des autres. Ce fut un grand privilège de travailler avec elle. »
Vous jouez cette mère supérieure, mais aussi vous jouez une actrice qui joue cette mère supérieure. Comment avez-vous trouvé cela de jouer de cette façon plutôt spécial ? « Le fait de jouer un personnage contemporain que je joue est très différent de la religieuse que l’on voit dans le film. Alors pour moi, c’est un cadeau supplémentaire, de pouvoir, dans le même film montrer deux volets d’une même personne. C’était génial. Aussi, ce que je trouve tellement intelligent dans ce choix-là que Lyne a fait dans l’écriture de nous montrer un volet contemporain de l’amour, je trouve que cela nous donne la perspective de voir cette histoire-là qui s’est passée dans les années 40, où tu as des êtres très évolués dans leur foi, mais aussi dans leur regard sur l’amour et de mettre cela en parallèle avec aujourd’hui. Comment on voit l’amour, comment on vit l’amour. Cela nous montre deux époques et cela nous montre que bien des choses n’ont pas évolué depuis, ou encore ont mal évolué. »
Ce film est librement inspiré de la relation épistolaire entre le Frère Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau. Que pensez-vous de cette relation à distance de ces deux personnages d’une autre époque ? « C’est une relation qui est belle et surtout qui nous ressemble à plein de niveaux. »
Avez-vous vu le film ? et qu’en avez-vous pensé ? Je l’ai vu. Écoutez-la parler de ses impressions
Rappelons que Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles a obtenu le Grand Prix Hydro-Québec lors de sa présentation en première mondiale et en clôture du 41e Festival de cinéma international en Abitibi-Témiscamingue et a inauguré le Festival Cinéma du Monde Sherbrooke après avoir été sélectionné en compétition officielle du Festival de Whistler en décembre 2023.
Les Films Opale distribuent le film qui sera à l’affiche le 21 juin 2024.
producteurs ROGER FRAPPIER, SYLVIE LACOSTE, VERONIKA MOLNAR
RÉALISATRICE
Lyne Charlebois
SCÉNARISTE
Lyne Charlebois
direction de la photographie ANDRÉ DUFOUR
direction artistique YOLA VAN LEEUWENKAMP
costumes SOPHIE LEFEBVRE
son CLAUDE LA HAYE, JEAN-PHILIPPE SAVARD, STÉPHANE BERGERON
distribution des rôles GENEVIÈVE HÉBERT, CATHERINE DIDELOT
1 assistant à la réalisation ÉRIC PARENTEAU
direction de production RENÉE GOSSELIN
montage YVANN THIBAUDEAU
musique originale VIVIANE AUDET, ROBIN-JOËL COOL, ALEXIS MARTIN
PRODUCTEUR Max Films
GENRE Drame
DURÉE 99 minutes
PAYS Canada
LANGUE Français
ANNÉE 2023
DISTRIBUTION
Alexandre Goyette
Mylène Mackay
Rachel Graton
Francis Ducharme
Sylvie Moreau
Marianne Farley
Vincent Graton
Crédit Photos : Réjeanne Bouchard