Quel sera le destin de Francis Choinière, ce jeune homme de 27 ans en quête de notoriété ? C’est la question que chaque observateur se pose lorsque, pour la première fois, l’auditeur le perçoit diriger de haute conviction la Cinquième de Beethoven puis enchaîner cela, en un même programme de soirée, avec le Requiem de Mozart. Son art d’harmonisation et de la finition de la sonorité d’un chœur dépasse tout ce qui s’est fait entendre ici, chez nous, même au sein de nos deux orchestres officiels jusqu’à rejoindre et dépasser, sans aspérité, la somptuosité des chœurs des Violons du Roy!
Un programme impeccable
Rien à reprocher au programme de ce vendredi 15 novembre avec quatre mouvements d’exquise expressivité de cette Cinquième de Beethoven et puis l’intégration de ces quatre solistes fort aptes venu compléter cet excellent chœur dans une Messe mortuaire (Requiem) offerte à un niveau qui la fasse apprécier d’un public tout neuf qui semble spontanément tout aimer. Cette foule reviendra remplir la salle d’une vigoureuse liesse de jeunes néophytes fervents et enthousiastes, applaudissant de pur élan amoureux, oui, souvent, à l’instant même de l’émoi tels des enfants conquis au jeune maître et pour toujours apprivoisés.
Éros, Thanatos et Orphée!
Il en va de même de l’assemblage ou de la réunion des musiciens de l’Orchestre Philharmonique unis par Choinière à partir du bassin des grands musiciens suppléants d’au moins deux des orchestres principaux et aussi parmi les autres ensembles de notre province hautement mélomane. Le son de cet orchestre le place tout à fait à égalité avec le Métropolitain, et souvent bien au-delà.
Vincent Champagne remercia des mécènes
Jacqueline Desmarais qui avait mis au monde via Rotterdam, puis Philadelphie et New York « sa plus belle réalisation » comme elle le disait fièrement à la fin de sa vie, couvrant de dorures le cadre de celui endisquant désormais, à sa guise, tout ensemble obéissant sous sa baguette (auprès de Deutsche Grammophon, en plus)… cette grande mécène, donc, si elle était encore de notre monde, se bouleverserait de ces somptuosités de la direction de Choinière que nous avons entendues, répétant volontiers un autre miracle musical de soutien inébranlable.
Mécénat Musica à l’œuvre
Ainsi, le jeune administrateur fort jovial Vincent Champagne est venu rappeler à l’auditoire familier, vendredi soir 15 novembre, que toutes ces pirouettes de prouesses musicales et symphoniques ne se font pas sans fonds lorsque les subventions publiques s’amoindrissent ou se dispersent entre mille mains nécessiteuses: via Mécénat Musica, cette nouvelle Philharmonie aurait donc reçu près d’un autre quart de million de dollars ce qui permettra la présentation des Planètes de Gustav Holst cet hiver puis celle de la seconde symphonie de Gustav Mahler prévue au printemps prochain.
Obéir aux conventions d’un milieu guindé?
En entrevue, Francis Choinière me répond (à cette question: « Dans 10 ans, à 37 ans, où te vois-tu et quel chemin auras-tu parcouru? ») fort candidement: « C’est difficile de voir où je vais ». Pour un aveu sincère, c’en est un qui montre l’état des perspectives de notre jeunesse la plus talentueuse dans notre monde ranci de petites pratiques rituelles du milieu classique où des influences d’agents puissants (New York, Londres, Paris) seules font une carrière alors qu’il faudrait des horizons ouverts, un panorama accessible libéré du favoritisme de clan s’ajoutant aux obstacles pécuniers.
Lire un programme en Peau de chagrin
Lorsque la conquête de chaque ville, chaque salle, chaque public pour lequel on joue, tel ou tel soir, demeure la mission fondamentale de tout interprète et de tout ensemble (cherchant à se voir rembaucher par talent avéré), il ne faut pas faire fuir le public en les intimidant. J’entends il faut laisser les gens applaudir, comme ils le sentent: moi aussi, entre les mouvements des œuvres, ça me fait sourire. Et alors où est le drame?
Des omissions d’information
Comment expliquer doucement à un public enthousiaste, heureux d’être là, ce que signifie la forme Concerto versus Symphonie? Comment les guider à lire les mouvements 1-2-3-4 libellés en un lexique italien étranger à tous, comment éviter d’effaroucher ces fervents accourus? Surtout quand les séparations sont factices comme ici, où les mouvements 3 et 4 sont joués « liés et sans pause » tel que les conçut Beethoven? Oui parler au public s’imposerait, si rien n’est encore facétieux, spécieux, caché. Il faut percevoir que ça intimide toujours les Québécois au très bon cœur si on leur fait la leçon sur tout et sur rien en mettant des points sur les i… pour oublier, en plus, une exception d’enchaînement de mouvements et se contredire!
Téléphone éteint? Programme codé mystère?
On demande aux gens d’utiliser leur téléphone avec le fameux code QR aposté sur un feuillet économique à vertu de programme rachitique par vœu écologique! Décidez-vous! Vous voulez qu’on consulte le programme avec le téléphone mais vous vouliez qu’on l’éteigne? Est-ce à dire qu’on doit mémoriser le nombre et la dynamique des mouvements par cœur? Deux mouvements étaient joués liés ou joués à la chaîne, c’était écrit quelque part ça?
Les parties d’une Messe des Morts
Et puis, expliquer cette Messe de Mozart achevée par son élève, on ne peut l’élucider téléphone éteint! On doit lire les parties de la messe, les biographies et le programme, oui ou non? Mémoriser les parties d’une Messe, pour quiconque d’intelligent c’est du boulot et si le latin n’est pas traduit, c’est comme du chinois… Beaucoup d’obstacles se dressent si on ne veut pas projeter tout humblement, au-dessus du chœur, un écran avec texte expliquant et traduisant tout pour le moins en français.
Conquérir: une séduction permanente
Durant trente semaines d’une année universitaire éloignée de moi de 40 ans, j’avais entrepris dans le Continuum de l’Université de Montréal d’expliquer les arguties du vocabulaire du milieu musical classique pour gagner des adeptes chez mes congénères estudiantins âgés de 22 ans, des coeurs jeunes – oui, comme moi, jadis. Tout tournait autour de la naissance de l’amour de la musique et comment bien s’enivrer de beautés harmonieuses. Est-ce à refaire?
Questions à élucider
Comment mettre à nu l’essence d’une œuvre? Comment déceler ou lire le goût immanent à un programme conçu par tel interprète? Comment le convoiter ce vaste répertoire? Comment se dépêtrer dans les formes symphoniques musicales de base, la musique de chambre, les oeuvres vocales, les époques de musique ancienne, baroque, classique, romantique, impressionniste?
Au début de ma vingtaine, je dressais patiemment chaque semaine, des listes de vingt ou trente interprètes fiables par instrument soliste ou autant d’orchestres fameux par lesquels s’initier à des versions distinguées du répertoire de base.
Ma curiosité, ma passion juvénile, ma volonté de conquérir des adeptes m’y aidaient. J’avais des alliés: des séries de disques et de revues comme Au coeur du Classique, l’étiquette Naxos, et aussi sans qu’il le sache, un Charles Dutoit dirigeant l’OSM d’alors, avec magnétisme et magie, un ensemble qui aura connu le plus grand succès de ventes de disques de l’histoire universelle du disque classique.
Choinière triomphera, son public s’éduquera
On a vu du monde surgir en belle chaleureuse jeunesse, à l’OSM, cet automne: il est l’ensemble principal véritablement résident à la Maison Symphonique offrant le plus grand nombre d’événements de qualité et de diversité. Le public de Choinière le complétera en celui qu’il faut garder coûte que coûte et, si possible, le démultiplier pour rajeunir les partisans de notre musique.
Rendre abordable
Rendre abordable… ce n’est pas que financier… Abordable c’est aussi savoir ne pas fendre les cheveux en quatre quand on raciocine sur la valeur d’une interprétation et aller à l’essentiel qui soit nuancé mais surtout accessible aux distinctions intelligibles. Faire l’éloge ou miroiter la juste valeur ce n’est pas intimider tout le monde de ses uniques savoirs: c’est faire venir par les mots appropriés jusqu’au cœur, la tentation de découvrir la plus belle des musiques vers le cerveau et l’entendement de qui la recevra.
Un gémellaire double de soi
Francis Choinière tout absorbé dans cette musique qu’il ressuscite et surtout porteur de ses capacités exceptionnelles de finition sonore, dispose (par décret divin peut-être?) d’un frère aussi radieux que lui, s’exprimant avec aisance et, lui, il pourrait, en plus de chanter dans le chœur de son frère capital, amadouer de sa belle voix de baryton, c’est-à-dire séduire facilement le public accouru les voir et les entendre tous deux: il y arrivera par des explications préalables au concert. Si j’avais encore 20 ans, je m’offrirais même à les rédiger gracieusement, ces élucidations, en mots simples et savoureux.
À tout prix, il faut que ce public – Choinière soit réinvité souvent à la Maison Symphonique et qu’on l’entraîne sur les pistes de la plus belle collection de richesses musicales de la Terre Promise: celle-ci menant au pays de Cocagne qu’est l’authentique bonheur d’entendre et d’écouter (deux activités amenant distinctions) d’infinis chefs-d’œuvre.
Maison symphonique
La 5e Symphonie de Beethoven et Le Requiem de Mozart
Le vendredi 15 et le samedi 16 novembre 2024, à 19 h 30
Francis Choinière et l’Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes
Myriam Leblanc, soprano
Allyson McHardy, mezzo-soprano
Andrew Haji, ténor
Geoffroy Salvas, baryton
Crédit : Tam photograpĥie