Et pourtant, le projet s’annonçait on ne peut plus ardu : bâtir une fresque comique à partir de l’œuvre du grand Shakespeare. Eh bien, 2 auteurs audacieux, 1 metteure en scène intrépide, 5 compagnies de théâtre et 15 années d’écriture plus tard, le rêve est devenu réalité, d’abord à Québec, puis à Terrebonne et enfin vendredi soir, à la Place des Arts de Montréal. Et ne reculez pas devant la durée du spectacle ! Après tout, il s’agit de rendre hommage à l’un des plus grands dramaturges de l’histoire, donc 3 heures pour un univers aussi riche, avouez que c’est finalement raisonnable…
Dear God, que les auteurs Simon Boudreault (Gloucester) et Jean-Guy Legault (York) s’étaient lancés tout un défi ! Car Shakespeare a écrit des tragédies, des comédies et son style avant-gardiste a permis au théâtre d’être apprécié aussi bien par les intellectuels que par un public plus large. C’est dire que le langage, la psychologie des personnages et l’action ne devaient pas être bâclés.
Sur ce point, c’est une réussite : dialogues savoureux et absurdes à souhait – amateurs des Monthy Python et de Kamelott, vous allez vous régaler – que nous livrent dix comédiens aux performances toutes plus éclatées les unes que les autres et ce, dans chacun de leurs rôles. Mon coup de cœur, et celui de bon nombre de mes voisins de siège, est Éloi Cousineau, au formidable potentiel comique, qui vole souvent l’action principale grâce à ses mimiques impayables. Oui, dans cette folie, les personnages principaux font l’histoire et les personnages secondaires font le show.
Vient ensuite le travail tout aussi titanesque de Marie-Josée Bastien, la metteure en scène. Familière de l’œuvre de Shakespeare, elle a, par le passé, monté Le songe d’une nuit d’été, Richard III, Hamlet et Macbeth et dans une totale maîtrise de son art, elle a su diriger ses comédiens à un rythme survolté.
Le rythme… c’est primordial dans une comédie, sinon, les spectateurs décrochent, les blagues tombent à plat et le jeu n’est plus qu’une ambiance sonore ; on en prend conscience dans la deuxième partie, qui souffre un peu de la durée et de l’entracte. Les quelques longueurs prévisibles sont alors amorties par de délicieuses trouvailles : parodies de chorégraphies connues, de faits historiques… à la limite d’être présentées comme un enchaînement de sketchs, mais puisque cela est drôle et bien amené, on n’en tient pas rigueur. Autre numéro dans la première partie cette fois, qui mérite d’être souligné : l’intervention de marionnettes… je n’en dirai pas plus !!!
Finalement l’histoire. Car oui, dans tout ce bazar organisé, une histoire nous est contée et je peux vous garantir que le public l’a suivie avec intérêt et fous rires. Après une victoire sanglante contre l’Écosse, Édouard, roi d’Angleterre, ordonne un partage des terres remportées entre ses généraux, Gloucester et York, et la reine Goneril, partage que celle-ci, assoiffée de pouvoir, trouve plutôt injuste. Il s’agit donc de vengeance et de manigance, thématiques chères au célèbre anglais, qui sont exploitées.
Je ne pense pas que l’objectif de la pièce soit de nous faire réfléchir et il ne faut pas voir cela comme une faiblesse, car divertir pendant près de 3 heures, un public inégalement connaisseur de l’auteur présenté, dans un registre peu usité au Québec – le comique de l’absurde – est déjà un immense défi en soi. La valeur ajoutée ? Éveiller notre curiosité et d’élargir nos connaissances : « Être ou ne pas être… » soit, mais encore ?
Cela valait la peine d’attendre 15 ans !
Le spectacle « Gloucester » est présenté jusqu’au 17 décembre, à la Cinquième salle de la Place des Arts.
Mise en scène MARIE-JOSÉE BASTIEN
Auteurs SIMON BOUDREAULT ET JEAN-GUY LEGAULT
Comédiens MARIE-JOSÉE BASTIEN, EMMANUEL BÉDARD, GENEVIÈVE BÉLISLE, DAVID BOUCHARD, SIMON BOUDREAULT, ÉLOI COUSINEAU, JONATHAN GAGNON, JEAN-GUY LEGAULT, CATHERINE RUEL, ALEXANDRINE WARREN
Durée du spectacle
2 H 45 avec entracte