Une conférence pré-concert à cette inoubliable soirée de grande musique onirique nous révélait l’existence de la dopamine, ce nectar essentiel au bonheur du cerveau et de l’âme humaine, ambroisie allégeant les affres de l’existence en tous ces temps périlleux qui vont et viennent. Vasily Petrenko fut, en ce radieux 30 octobre de 22 degrés Celsius, la prodigieuse auréole qui nous enchanta des vertus de l’OSM avec des œuvres de Jennifer Higdon, Ludwig van Beethoven et Jean Sibélius.
Prédispositions contemplatives
L’ambroisie était le nectar des dieux de l’Olympe, ce lieu secret où les vrais mélomanes savent encore se réfugier pour savourer la joie de bien vivre en heureuse compagnie. Comme jadis l’immense salle Wilfrid-Pelletier, la Maison symphonique était remplie à capacité d’une jeunesse radieuse de ses 20 ans prometteurs dont un large contingent de belles créatures divinement mélomanes venues de la Faculté de médecine, entre autres.
À l’honneur: Jennifer Higdon
Je suis très rarement élogieux de la sorte, mais Blue Cathedral de la jeune compositrice américaine Jennifer Higdon (née en 1962, décennie de la jeunesse éternelle) est un authentique chef-d’oeuvre de musique rassérénante et d’attendrissante illumination.
Un voyage dans une cathédrale de verre avec la participation dialogique des vents dont la flûte solo (Albert Brouwer) et la clarinette solo (tout ce pupitre excelle que ce soit Todd Cope, Alain Desgagné, Ryan Toher ou André Moisan!) cheminant vers une exploration sonore culminante atteignant un seul paroxysme avant le retour à la méditation des solistes initiaux. Un envol sonore remarquable de mélodieuse élaboration, tels de transperçants vitraux d’éblouissements polychromes.
Envolées pianistiques avec Simon Trpčeski
Le cinquième concerto pour piano et orchestre de Beethoven en mi bémol majeur est l’œuvre concertante la plus connue avec la fameuse cinquième symphonie du compositeur: il est pétri de guirlandes d’arpèges incessantes et déferlantes, de cadences originales, puis d’un mouvement lent méditatif où une mélodie fort simple au piano tisse un accompagnement tendre, réciproque et discret du quatuor à cordes orchestral. Enfin, le dernier mouvement est une glorieuse ou cérémonieuse cathédrale d’éloges à la musique presque entièrement en tons diatoniques majeurs modulés avec doigté (bien entendu!).
Un rappel de Chant d’Automne
Tchaïkovsky a écrit 12 pièces pour piano, faciles, chantantes, une évocation pour chaque mois de l’année, l’ensemble s’appelle Les Saisons sous l’opus 37. La dixième méditation pour le mois d’octobre s’intitule Chant d’Automne et toute la tristesse de celui qui, dans la Russie tsariste de l’époque ne pouvait pas dire le nom (comme Oscar Wilde) très genré de son amour… s’y exprime magistralement et M. Trpčeski qui est Macédonien comme le fut l’Empereur grec Alexandre le Grand sur son Bucéphale, a joué ça avec une grande intimité pour le public montréalais qu’il a certainement enchanté encore en s’adressant à nous tous en français.
L’enveloppant Vasily Petrenko
De haute stature avec son port de tête altier, sa chevelure blonde bien taillée aux reflets des blés des steppes de Russie tels que nous les avons goûtés jadis dans le film magnifique du Dr Zhivago du prix Nobel (1958) Boris Pasternak (voisin et ami d’Alexandre Scriabine), Vasily Petrenko est le chef du Royal Philharmonic de Londres ce qui n’est pas peu de choses. Pour aller droit au but, on se laisse bercer par ses gestes élégants et sa manière énergique de diriger (avec partition) la complexe symphonie no.5 de Jean Sibélius dont l’autre bijou est sa seconde symphonie.
Autorité, auréole, illuminations
Vasily Petrenko comme autrefois Herbert von Karajan (mais sans la morgue narcissique de l’Allemand) et une identique fougue à celle de Lorin Maazel… empoigne l’orchestre mais le caresse du bout des doigts, par des gestes d’une élégance princière et d’une majesté immanente à sa personne distinguée. Natif de saint-Petersbourg, il semble avoir conservé la prestance de sa ville natale et ce lustre de distinction des anciens empires d’avant 1917-1918 où l’Occident habsbourgeois et l’Orient turc s’effondrèrent dans le chaos de la fragmentation.
Un grand chef-d’oeuvre symphonique
Sibelius a construit cette cinquième symphonie avec un soin d’architecte baroque mais d’esthétique moderne faisant appel au choral et au canon. S’élabore constamment cette mélodie fugueuse comme celle offerte aux cors, puis en amorce au basson tout d’abord à une lenteur choisie délibérément exténuante : de toutes ces transitions ou relais mélodiques, on en retient cette perdurante intensité éminemment expressive pour chaque soliste ou pupitre sollicité.
Chaque mouvement symphonique y resplendit de cette élaboration sonore de surgescence et d’évanescence des mélodies dont la grande synthèse finale survient au glorieux quatrième mouvement qui emportera l’adhésion unanime d’un public amadoué et enivré.
Et on avait failli le choisir!
Et dire, si j’ai bonne mémoire, que M. Petrenko qu’on goûte savoureusement à l’épreuve finale de chaque Concours Tchaïkovsky de Moscou (même quand une étourderie fait jouer à l’orchestre des Variations de Rachmaninoff avant un premier concerto de Tchaïkovsky plus convenu!), dire donc qu’on puisse se plaire à ressasser le fait que M. Petrenko faisait partie des candidats venus exposer leurs talents pour la succession de Kent Nagano!
C’est évoquer que les voies de Dieu resteront à jamais à jamais impénétrables! Monsieur Petrenko avait un destin ailleurs et il restera partout un grand trésor musical: il a semblé bénir, de ses graciles mains et de ses lèvres d’authentique tendre Caucasien (et aussi de son front nimbé de joie), l’acoustique de Valhalla de notre Maison Symphonique et notre illustre ensemble. Extases dopaminiques? On ne saurait mieux imaginer le bonheur, je crois.
Orchestre symphonique de Montréal
Vasily Petrenko, chef d’orchestre
Simon Trpčeski, piano
Œuvres
Jennifer Higdon, blue cathedral (12 min)
Ludwig van Beethoven, Concerto pour piano no 5 en mi bémol majeur, op. 73, « L’empereur » (38 min)
Entracte (20 min)
Jean Sibelius, Symphonie no 5 en mi bémol majeur, op. 82 (30 min)