Après la création de La beauté du monde, en 2022, le compositeur Julien Bilodeau et le dramaturge Michel Marc Bouchard récidivent avec leur nouvel opéra, La reine-garçon, présenté en grande première à la Place des Arts, samedi dernier. Le livret est une adaptation de la pièce Christine, la reine-garçon, produite au Théâtre du Nouveau Monde, en 2012 et inspirée de la vie mouvementée de Christine, reine de Suède. Amoureuse d’une femme et refusant de donner un héritier à son royaume, cette personnalité marquante du XVIIe siècle est interprétée par la soprano Joyce El-Khoury, entourée de huit solistes dont Étienne Dupuis et Éric Laporte, ainsi que l’Orchestre symphonique de Montréal et le Choeur de l’Opéra de Montréal.
Belle nordicité
Dès l’ouverture du spectacle, on est plongé en pleine nordicité, grâce à des projections vidéo soignées. C’est la tempête! Cela s’entend avec le puissant orchestre de 65 musiciens dirigé par Jean-Marie Zeitouni.
Il fait tempête, également, dans la tête et le coeur de la reine Christine, tiraillée entre ses pulsions sexuelles et ses devoirs de cheffe d’État. La souveraine est éprise de la comtesse Ebba, incarnée par la mezzo-soprano Pascale Spinney, plutôt effacée dans ce rôle.
Pendant ce temps, le royaume s’inquiète de la pérennité de la dynastie et concocte des projets de mariage. Le premier prétendant est le cousin de la reine, Karl Gustav, porté avec passion par le baryton Étienne Dupuis.
Après avoir repoussé cet amoureux, Christine en fera autant avec le comte Johan. Le ténor Isaiah Bell multiplie les manières affectées en jouant cet homme vaniteux, ce qui déclenche des éclats de rires bien sentis dans la salle.
Cela dit, l’un des temps forts du premier acte demeure l’affrontement entre Christine et sa mère, terrible personnage interprété par l’énergique soprano Aline Kutan, très en voix!
Comment guérir la maladie d’amour?
Après l’entracte, le ténor Éric Laporte se glisse habilement dans la peau du savant français René Descartes, appelé à répondre a une question qui hante la reine.
Puisque le philosophe affirme que toutes les passions se rencontrent dans une petite glande du cerveau, Christine veut savoir si l’on peut exciser l’amour de cette glande.
Ici, la musique déjoue, avec une pointe d’humour, l’aspect lugubre de ce théâtre anatomique.
Mais, les tourments de la souveraine finiront par l’amener à abandonner sa foi luthérienne pour se convertir au catholicisme, elle qui est pourtant l’enfant d’un des champions protestants de la guerre de Trente ans, mort au combat alors qu’elle n’avait que six ans.
Faut-il tourner le dos à tout ce qu’on est pour devenir ce qu’on veut être, se demande la reine-garçon. Cédant à la pression, Christine abdique en désignant son cousin Karl Gustav comme successeur.
Si les rebondissements sont nombreux, les moments d’émotion sont plutôt rares dans cet opéra. Malgré ses qualités vocales indéniables, madame El-Khoury ne parvient pas tout à fait à exprimer la cruauté associée à son personnage. Par contre, Étienne Dupuis est bouleversant lorsqu’il vient, une ultime fois, témoigner son amour à Christine. L’élue de son cœur demeure inflexible mais, elle accepte de se blottir entre les bras de son cousin, où elle semble vivre un rare moment de réconfort.
La musique de Julien Bilodeau se renouvelle à chaque tableau, à travers certains détails. Entre autres, le «kulning», un type de chant scandinave, extrêmement aigu, interprété par Anne-Marie Beaudette, apporte une touche distinctive à cette partition.
Comme le disait le compositeur lui-même, en entrevue aux ArtsZé, la présence d’un aussi imposant orchestre dans la fosse, n’est pas sans rappeler Elektra de Richard Strauss, à certains moments. Mais, la musique n’écrase jamais les dialogues; elle est «variée et toujours au service du drame, soit pour supporter l’histoire ou dialoguer avec ce que les mots racontent», de préciser monsieur Bilodeau.
La richesse de l’oeuvre repose aussi en partie sur les chœurs qui ajoutent une imposante dimension théâtrale, dans cette mise en scène rythmée de Angela Konrad.
Les magnifiques projections vidéo d’Alexandre Desjardins évoquent des cieux et des forêts dont les mystères semblent les reflets de l’âme de la reine-garçon.
Cette création est une nouvelle réussite pour le tandem Bilodeau-Bouchard et ce, moins de seize mois après le lancement de La beauté du monde.
Trois autres représentations de La reine-garçon sont offertes cette semaine.
La Reine-garçon
Musique: Julien Bilodeau / Livret: Michel Marc Bouchard
Distribution:
Joyce El-Khoury : Christine, reine de Suède / Étienne Dupuis : Comte Karl Gustav / Isaiah Bell : Comte Johan Oxenstierna / Daniel Okulitch : Le chancelier Axel Oxenstierna / Pascale Spinney : Comtesse Ebba Sparre / Éric Laporte : René Descartes / Aline Kutan : Marie-Éléonore de Brandebourg / Alain Coulombe : Assistant de Descartes / Anne-Marie Beaudette (chant kulning)
Chef d’orchestre : Jean-Marie Zeitouni
Orchestre Symphonique de Montréal
Chœur de l’Opéra de Montréal
Mise en scène : Angela Konrad
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts
Coproduction de l’Opéra de Montréal et du Canadian Opera Company
Les 6 et 8 février, à 19 h 30
Le 11 février, à 14 h
Photo d’accueil : Joyce El-Khoury et Pascale Spinney
*Photos fournies par l’Opéra de Montréal