L’expérience inoubliable de cette vigoureuse et sensuelle deuxième symphonie de Serge Rachmaninoff, sous le bâton du chef finlandais Osmo Vänska, a donné lieu, samedi après-midi 19 octobre à la Maison symphonique, à une de ces touchantes marques publiques de profonde reconnaissance de la part de tous les musiciens de l’OSM à l’égard du chef invité: une minute d’ovation spontanée.
L’adresse conviviale au public
C’est la direction générale, par la voix généreuse de Mélanie Couture, qui est venue expliquer le déroulement du concert, soit l’œuvre nouvelle, mais aussi les éléments techniques des volets de la canopée déplacés d’environ 7 mètres pour la somptueuse symphonie de Rachmaninoff en seconde partie.
Elle réitéra aussi l’expression de sa joie de découvrir un nouveau et très jeune public accouru pour s’abonner, avec l’invitation de les fidéliser en leur suggérant de revenir souvent combler la salle en ce début de saison musicale.
En préambule, une Première pour l’orgue
L’orgue de la mécène Jacqueline Desmarais aura servi, en début de concert, à faire valoir une Première d’une œuvre contemporaine très récente en trois mouvements composée par Esa-Pekka Salonen et intitulée Sinfonia concertante pour orgue et orchestre. L’organiste titulaire, Olivier Latry, semblait enchanté d’en produire la partie concertante. En ses prémisses, la construction promettait et suscitait la curiosité par des effets expressifs novateurs.
La sublime sonorité d’Albert Brouwer
Le premier mouvement inscrit sous les vocables Pavanes et bourdons offrait à ce fabuleux flûtiste soliste qui incarne l’avenir de ce pupitre essentiel, soit Albert Brouwer, l’occasion de s’illustrer encore, puis l’ensemble des bois furent sollicités à cette agréable amorce d’innovations sonores.
Survint le tour des cuivres, puis le quatuor entier fut mis à contribution. Durant presque tout ce mouvement, c’est Brouwer qui animait les plus belles parties de l’invention, je dirais même au-delà de l’orgue qui cherchait, lui, à s’intégrer à la formation symphonique avec une originalité peu probante au départ .
Texture sonore bientôt lugubre
Au second mouvement les clarinettes, les bassons et les hautbois s’illustrèrent de séduisantes mesures, mais hélas, peu à peu, l’œuvre s’assombrit au point d’en devenir angoissante et j’imagine que ce n’est pas sans raison que le mouvement recourt aux mots Variations et chant funèbre pour nous désigner une idée musicale à conquérir. Jusqu’alors ni la subtilité ni la puissance de l’orgue n’étaient maximisées.
Une troublante opacité de sens
Au troisième mouvement, l’intelligibilité de la Sinfonia devint encore plus ardue à saisir pour tout le public malgré la profusion des segments expressifs: la manifeste discontinuité mélodique désorientait plus que jamais par une trop grande fréquence de paroxysmes, même avec les retours énergiques de l’orgue dans ce qui est baptisé d’ailleurs comme Montage fantôme.
C’est peu dire que la perplexité se lisait sur le visage de plusieurs musiciens quand survint la réception des applaudissements épars. À l’entracte, on venait tout juste de quitter ce qui s’apparentait à une méditation d’église, avec une foule un peu prostrée comme celles et ceux qui éprouvés par le repli intérieur se sentent tétanisés par une ambiance d’enterrement, et qui n’imaginent aucune éclaircie.
Un radieux Rachmaninoff en renfort
La beauté de chacun des riches mouvements de cette seconde symphonie (opus 27) vint à la rescousse d’un certain désarroi après l’entracte. Les expérimentations hasardeuses des œuvres contemporaines, même mineures comme dans le cas de cette Sinfonia, peuvent avoir un effet repoussoir sur un public en ce moment exacerbé de valeurs innovantes, valeurs qu’on lui enfonce en maintes tribunes impératives ou de force au cerveau puisque notre monde est véritablement en constantes révolutions perpétuelles depuis l’Après-Guerre.
L’émotion russe suscite des clameurs
Rachmaninoff parle donc au cœur de tout mélomane novice et étale des sentiments en émouvante effusion non seulement au fameux troisième mouvement mais aussi avec l’entrain de l’énergique fugue du second mouvement d’animation si originale. Tout chante et y resplendit, même dès l’éveil des affectueuses et voluptueuses mélopées émanant sans relâche du quatuor à cordes au tout premier mouvement.
Un air archi célèbre
Le troisième mouvement fut, avec sa mélodie célèbre empruntée maintes fois en chanson populaire américaine, comme toujours, le haut fait de l’après-midi musical. À un tel point d’immanente beauté que le public ne put se retenir d’exprimer son émoi profond par des salves d’applaudissements à la transition vers le quatrième mouvement, aveux irrésistibles qui firent sourire de contentement les musiciens tout aussi conscients de l’exploit absolu de leur rendement musical qu’ils restaient transportés par les gestes chics de ce brillant chef invité. Âgé de soixante-et-onze ans, doté d’une longue expérience, sa gestuelle élevait l’ensemble au sublime.
Un public conquis
Rachmaninoff fut donc un excellent choix surtout quand on est en processus de renouvellement d’un public qui veut être accueilli, accompagné et initié. Je songe souvent au fait qu’il m’ait fallu cinq ou six patientes décennies pour parvenir à rendre malléable mon goût musical et à affiner cette propension à une attentive étude des formes musicales tout autant que des esthétiques fort nombreuses à chaque époque (de la musique ancienne au contemporain en passant par les périodes baroques, classiques, romantiques, impressionnistes, etc).
Hommages et ovation
Rappelé trois fois sur scène par un public ému au tréfonds de l’âme par la beauté resplendissante de toutes les mises en évidence mélodiques soulignées, M. Vänska a choisi primordialement de distinguer le brio des grands solistes les plus importants des moments forts des quatre mouvements de ce chef-d’œuvre de Rachmaninoff soit les vents notamment à la clarinette: Todd Cope et Alain Desgagné.
Le chef fit également se lever les bassonnistes Stéphane Lévesque et Mathieu Harel -eux aussi si merveilleux tout récemment dans la Symphonie fantastique de Berlioz que l’OSM emportera en programmation de tournée européenne d’ici un mois avec la riche Symphonie Alpestre de Richard Strauss-, enfin les hautbois de Vincent Boilard, Josée Marchand et Alex Liedtke, puis ce fut le tour du grand flûtiste Timothy Hutchins, pour enchaîner avec les solistes des cors Catherine Turner, Denys Derome, les trompettes de Paul Merkelo, Stéphane Beaulac, enfin pour être juste il me faudrait les nommer tous avec les percussionnistes aussi.
Andrew Wan et ses énergiques coups d’archet ayant rempli sa mission de premier violon, tout le nombreux ou imposant quatuor à cordes de l’orchestre fut prié de se lever par le chef afin de recevoir l’hommage des clameurs du public.
Ovationné encore Osmo Vänska apparut ravi d’exquise satiété, son visage nimbé de cette joie de la performance optimale, celle de l’emportement sonore qu’engendre coup sur coup notre plus célèbre orchestre montréalais.