Le Théâtre du Nouveau Monde termine l’année 2022 avec une pièce au sujet brûlant d’actualité : la rectitude politique. Que faut-il taire ? Qu’est-ce qui peut être dit ? Quels propos sont offensants ? Ces questions épineuses sont au coeur du Roman de monsieur de Molière de Mikhaïl Boulgakov. L’écrivain russe qui a lui-même écopé de la censure, raconte son histoire et celle de son idole, Molière, confronté à l’autorité du roi de France, de l’Église catholique et de la bourgeoisie. Ce spectacle à grand déploiement et mis en scène par Lorraine Pintal, souligne le 400e anniversaire de naissance du célébrissime Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.
Jean-François Casabonne plonge avec intensité dans le personnage de Boulgakov (écrivain né à Kiev en 1891 et mort à Moscou en 1940) qui essaie de régler ses problèmes avec les théâtres, les éditeurs et la police politique. Casabonne est, en même temps, le narrateur qui nous entraîne dans des scènes clés de la vie de Molière, fougueusement incarné par Éric Robidoux. On remonte jusqu’à la naissance du petit Jean-Baptiste, ses premiers pas au théâtre, sa rencontre avec le Roi Soleil, sa colère devant l’interdiction de Tartuffe, etc..
Louis-Dominique Lavigne signe l’adaptation de cette biographie romancée écrite par Boulgakov. À travers Le Roman de monsieur de Molière, on réunit donc, sur une même scène, deux auteurs que trois siècles séparent et qui sont pourtant aux prises avec le même défi : la liberté d’expression. Le propos a une résonance indéniablement actuelle à notre époque où l’on tente de bannir certains mots (exemple : le mot en «n») et où des écoles ontariennes brûlent des milliers de livres jugés stigmatisants pour les peuples autochtones.
Mais, il y a un mais… Bien que cette pièce soit utile et éclairante, on en saisit l’essentiel dès le début, alors que le spectacle s’étire durant plus de deux heures sans entracte. En plus de certaines longueurs, la confusion risque de s’installer dans l’esprit du spectateur, car il y a beaucoup de monde sur scène ! En effet, Molière y rencontre, entre autres, Corneille, Racine et Jean de La Fontaine. Jean Marchand, Philippe Thibault-Denis et Benoît Drouin-Germain interprètent respectivement ces trois écrivains avec brio.
À ce fourmillement, s’ajoute la participation de la violoncelliste Jorane qui se déplace avec son instrument, comme si elle voulait interagir avec les comédiens. On peut se demander ce que la musicienne québécoise vient faire sur cette scène truffée de personnages mythiques qui nécessitent déjà toute notre attention !
Malgré quelques bémols, Le Roman de monsieur de Molière demeure une pièce pertinente, riche en références historiques et belle à voir, notamment, grâce au jeu des comédiens et aux splendides costumes de Marc Senécal. Ce spectacle qui bénéficie de moyens d’envergure sera aussi présenté en tournée au Québec, en 2023.
Le Roman de monsieur de Molière
Auteur : Mikhaïl Boulgakov / Adaptation libre : Louis‑Dominique Lavigne
Mise en scène : Lorraine Pintal
Avec : Jean-François Casabonne (Boulgakov) et Éric Robidoux (Molière) et Simon Beaulé-Bulman, Benoît Drouin-Germain, Caroline Bouchard, Lyndz Dantiste, Sébastien Dodge, Karine Gonthier-Hyndman, Juliette Gosselin, Rachel Graton, Jorane, Brigitte Lafleur, Jean Marchand et Philippe Thibault-Denis
Musique originale : Jorane
Décor : Pierre‑Étienne Locas / Costumes Marc Senécal / Éclairages Martin Sirois,
Au TNM, jusqu’au 3 décembre / Billets
En tournée au Québec en 2023
*Photos : Yves Renaud