Le Quat’Sous ouvre sa saison avec une pièce malheureusement toujours brûlante d’actualité, sur le drame de l’émigration. L’Énéide d’Olivier Kemeid est pourtant inspirée de l’épopée de Virgile, écrite entre 29 et 19 avant Jésus-Christ. Alors que 22 millions d’humains tentent actuellement de se trouver une terre d’accueil, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, on comprend l’auteur québécois de remonter cette pièce créée il y a douze ans et dédiée à son grand-père «qui a quitté le Caire en flammes en 1952 pour rejoindre lui aussi un Nouveau Monde (le Québec!)»
La toute première scène de L’Énéide (2019) produit un effet saisissant, alors que les protagonistes dansent frénétiquement au son d’une musique techno, dans un éclairage rouge sang. Le ton est donné : le voyage sera un très dur combat, souvent violent. Un homme fuit son pays en guerre, accompagné de sa femme, de leur bébé et de son vieux père. Ils prennent la mer, bravent les tempêtes et s’échouent en des lieux inhospitaliers, dont un tout-inclus, où une touriste hurle de frayeur, en les voyant débarquer sur la plage.
Le rôle d’Énée, confié à Emmanuel Schwartz à la création en 2007, est cette fois défendu par l’acteur d’origine ukrainienne Sasha Samar. Ce dernier s’était fait remarquer en jouant son propre personnage dans la pièce Moi, dans les ruines rouges du siècle, aussi écrite par Olivier Kemeid. Samar est convaincant, comme la plupart des comédiens qui l’entourent, dont Igor Ovadis (le père d’Énée) et Olivia Palacci, hilarante en tenancière de maison close qui pousse la note à la Dalida, avec Il venait d’avoir 18 ans. Les lumières de Julie Basse ajoutent au climat inquiétant de la pièce, mais pourquoi plonger le plateau dans une aussi épaisse fumée ? On en vient à être aveuglé et à toussoter ! L’environnement sonore de Larsen Lupin est lui aussi habilement collé à l’action, mais on pourrait baisser un peu le volume, pour aider à suivre les échanges denses entre la dizaine de comédiens sur scène.
En racontant L’Énéide en une heure 50, l’auteur prend sans doute quelques raccourcis, notamment, en cédant brièvement la parole à une agente d’immigration qui explique sommairement les règles de son pays à une sans-papier désespérée. Cela dit, le texte tend vers l’espoir avec des images poétiques évoquant, entre autres, «une terre souriante». En plus, l’auteur peut compter sur une distribution réunissant des comédiens de différentes origines, ce qui ajoute à l’impact de la pièce.
L’Énéide de Kemeid est un texte universel et résolument actuel. Pas étonnant qu’il ait été traduit en anglais, en allemand, en hongrois et en italien. Il a été lu et joué, entre autres, à New York, Berlin, Rome, Avignon, Budapest et au Festival de Stratford. Nous avons maintenant l’occasion de le découvrir ou redécouvrir, à Montréal.
L’Énéide
Texte et mise en scène : Olivier Kemeid
Avec : Étienne Lou, Anglesh Major, Igor Ovadis, Olivia Palacci, Marie-Ève Perron, Luc Proulx, Philippe Racine, Sasha Samar, Mounia Zahzam et Tatiana Zinga Botao
Lumière : Julie Basse
Conception sonore : Larsen Lupin
Au Quat’Sous, jusqu’au 28 septembre