Malgré son nom, l’Ensemble Vocal Tallis Scholars qui a fait salle comble, mardi le 10 décembre, à la Salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal, ne chante pas uniquement que des oeuvres du compositeur anglais Thomas Tallis (1505-1585), la gloire de la musique anglaise tous siècles confondus.
Outre des oeuvres de la polyphonie religieuse de la Renaissance européenne allant de l’Espagne à l’Italie, de la Flandre jusqu’au Nouveau-Monde en passant par la France et les îles britanniques, l’ensemble se consacre à tout le répertoire vocal. Leurs qualités remarquables font que leur est accessible toute la musique religieuse mais aussi la musique profane.
Pour preuve de cette versatilité, le chef Peter Phillips a fait un aveu au public, en français, avant d’annoncer le rappel offert gracieusement à la fin du récital à l’effet qu’il aimait beaucoup comment la musique vocale française (il a fait un lapsus en utilisant le mot «chanson» chose inconséquente puisque tous les textes furent chantés en latin ce qui fit éclater de rire les mélomanes!) avait réussi à rivaliser voire tout au moins se fondre harmonieusement, selon lui, avec la production des XVième et XVIième siècles anglais ou germanique ou flamand ou italien.
En effet, ce sont bel et bien les deux Motets de Francis Poulenc soit le Motet Salve Regina à 4 voix de 1941 et le Motet Ave Maria à 10 voix de 1957 (ils n’étaient que neuf voix sur scène cependant, sans doute une voix d’alto hors d’état de chanter mardi soir soit celle d’Alexander Chance) et surtout le sublime et insurpassable O Sacrum Convivium (1937) d’Olivier Messiaen qui ont tous trois volé les honneurs de la soirée. D’autres motets, oeuvres de Juan Gutiérrez de Padilla (1590-1664), de William Cornysh (1465-1523) et de Tomas Luis de Victoria (1548-1611) figuraient au programme de musique polyphonique religieuse et le public aura reconnu le célèbrissime Motet Miserere à 9 voix de Gregorio Allegri (1582-1652) qui exige de la soprano des vocalises désormais habituelles mais bel et bien ajoutées par les castrats au fil des siècles lors des représentations au sein des églises pontificales italiennes.
On pourrait souhaiter, au retour attendu que nous anticipons tous du Tallis Scholars, la prochaine fois, de les voir inscrire une autre oeuvre de Poulenc, profane cette fois, soit Figure humaine (texte de Paul Éluard) pour double choeur à capella (ils se débrouilleront bien pour les arrangements de voix ou les ajouts!). Voire même du Duruflé en sa Messe Cum Jubilo op.11 ou la sublime Messe basse de Fauré! C’est un souhait comme ça, car je me dis que cette musique, religieuse ou non, favorisant si humblement le recueillement, enfin tout ce répertoire ne sera peut-être plus joué ni chanté bien bien longtemps encore, d’ici une génération tout au plus, car les jeunes d’aujourd’hui grandissent en société laïque et ne se font plus du tout transmettre la culture religieuse ou biblique ou l’Histoire sainte et encore moins les rudiments du latin et la haute poésie lyrique.
Un si splendide répertoire dont nous sommes les dernières générations à entendre et écouter les vibrantes créations et réverbérations en chapelle ou nefs ardentes demeure une source de grande joie! Je m’alarme quand on voit les perceptions obtuses de la plus grande commission scolaire de notre pays montréalais causer tant de troubles aux Petits Chanteurs du Mont-Royal, c’est précisément ce que je redoute, cette étroitesse des curriculums d’administrateurs limités imposant leurs vues amputantes et convenues.
Le public de la salle de ce récital était rempli de connaisseurs, mais la jeunesse qu’on appelle relève en était totalement absente. Le miracle du pain et du vin se changeant en corps et sang du Christ, cette Transsubstantiation si suggestive du merveilleux chrétien devient étrangère à l’imaginaire des jeunes Québécois, mais c’est une jeunesse qui écouterait de tout et en recherches internet et téléchargements (streaming) ils raffolent d’en connaître davantage sur la polyphonie et même le chant grégorien car tout les intéresse si on leur en ouvre les perspectives. Tout comme la mythologie antique, comme l’Iliade, l’Odyssée, les mythes fondateurs des sociétés dites primitives, comme la Bible, comme Tristan et Iseut…etc.
Profitons-donc, dans l’intervalle, de ces moments privilégiés avec des choeurs comme le Tallis Scholars pour en parler à tout notre entourage que ça existe, pas seulement pour les initiés.
Photo: Nick Rutter