Le programme double que l’Opéra de Montréal présente en webdiffusion est composé de La Voix humaine (Poulenc / Cocteau) et de L’hiver attend beaucoup de moi, une création québécoise de Laurence Jobidon et Pascale St-Onge. Dans les deux cas, les personnages sont exclusivement des femmes, accompagnées au piano. Musicalement, l’enchaînement des deux oeuvres se fait tout naturellement, sans rupture de ton. L’adroite mise en scène de Solène Paré, ainsi que les décors ingénieux d’Étienne René-Contant et les éclairages soignés de Martin Sirois fournissent de fort belles images à cette captation vidéo d’un peu plus d’une heure et demie. Compte rendu de Marc-Yvan Coulombe.
En entrevue, la compositrice de L’hiver attend beaucoup de moi explique que sa partition est fortement influencée par la musique française impressionniste, un genre auquel on associe, entre autres, Debussy et Ravel. «Étant donné qu’il y a une zone très floue entre la réalité et le souvenir, j’trouvais que ce type de musique là venait vraiment bien supporter le propos». Une zone «floue», en effet, domine le livret de Pascale St-Onge, où il y a bien peu d’action.
On comprend que Léa (Croome), visage tuméfié, désire se rendre dans un refuge pour femmes victimes de violence qu’on appelle plutôt «la maison brûlante». Enceinte, elle s’est mise en route avec Madeleine (Bourget), une inconnue qui a déjà vécu pareil cheminement et qu’elle suit au nom de la solidarité féminine : «De femme à femme, une promesse de femme à femme / Je vais t’emmener vers elle, la dernière de toutes les maisons / De femme à femme, je t’ai crue de femme à femme… une porte qui ne s’ouvre que pour nous…»
Quant aux raisons de sa fuite, Léa les résume ainsi : «Combien de fois j’ai disparu dans ma propre maison ? Mais lui, mon homme, chaque fois, me ramenait auprès de lui, dans ses bras qui me serrent jusqu’à ne plus me reconnaître.» Essentiellement, durant trois quarts d’heure, les discussions des deux protagonistes tournent autour des tiraillements liés à la décision de Léa de quitter le maison conjugale. Comme elles ont eu une panne de voiture, elles parlent tranquillement dehors, durant tout ce temps, alors que l’auteure précise que nous sommes dans «le nord du Québec, au milieu d’un climat froid et hostile»!
Heureusement, la metteure en scène arrive à briser un peu la monotonie avec d’habiles déplacements des deux personnages, dans ce magnifique décor lunaire. Les chanteuses posent leurs voix puissantes sur la musique portée par l’énergique pianiste Jennifer Szeto. De plus, un fait remarquable en ce temps de pandémie, mesdames Bourget et Croome se produisent sans distanciation physique. L’Opéra de Montréal nous indique que les deux femmes ont vécu une période d’isolement en commun, avant l’enregistrement qui a eu lieu au Théâtre Maisonneuve, au début d’octobre.
Une voix qui résonne depuis près d’un siècle
Quant à La Voix humaine, en ouverture de ce spectacle de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, on peut dire qu’elle demeure pertinente, des décennies après sa création à la Comédie-Française, puis son adaptation en tragédie lyrique par Francis Poulenc, en 1959. France Bellemare est bouleversante en femme qui n’arrive pas à accepter une rupture amoureuse. L’histoire a beau se dérouler dans un passé lointain, comme l’indique le gros appareil téléphonique, le drame, lui, demeure actuel. Que d’images fortes dans ce texte illustrant la détresse liée à la dépendance affective, à une époque où les téléphones étaient tous munis d’un fil: «J’ai le fil autour de mon cou. J’ai ta voix autour de mon cou.»
Ici encore, Solène Paré guide la protagoniste dans des déplacements et gestes qui traduisent l’affollement de l’interlocutrice, dans cette conversation avec un homme dont on devine les propos, sans le voir, ni l’entendre. La musique de Poulenc colle au rythme du récit sous les doigts de la pianiste Esther Gonthier.
En résumé, ce spectacle qu’on devait présenter au printemps dernier à Espace GO a visiblement été adapté pour la captation. Un travail réussi puisque les différents points de vue offerts par les caméras et le montage donnent à cette webdiffusion un certain dynamisme qui aurait été difficile à créer sur scène, où il y a peu d’action. Ajoutons à cela qu’on ne perd pas un mot; en plus, le texte apparaît en français et en anglais au bas de l’écran. Enfin, bien loin du prix habituel d’un billet pour une soirée à l’opéra, l’accès à cette webdiffusion est de 20 $ et disponible jusqu’au 19 novembre.