C’est une magnifique voix de basse, Matthew Li, qui de sa résidence torontoise s’est déplacé spécialement pour nous éblouir, en ce dimanche après-midi du 13 octobre 2024, avec l’offrande des 16 lieder du cycle Les Amours du Poète créés par Robert Schumann. Ce recueil amoureux, un grand sommet de tout l’art lyrique en récital, nous révéla ce vaillant jeune homme de 27 ans qui ne nous a pas déçu le moins du monde, tout au contraire, adroitement accompagné comme il l’était par l’agile pianiste Christopher Gaudreault. En voici les grands moments.
1-Printemps et automne révélant l’amour
Robert Schumann qui fut aussi un jeune homme éprouvé mais qui n’a pas manqué d’amour et de constance sentimentale pour Clara Wieck, toute sa musique nous en rassure, commence son cycle de lieders par En ce merveilleux mois de mai (Im wunderschönen Monat Mai).
La tendre mélodie est introduite au piano et ouvre le coeur à avouer tout authentique besoin d’amour. Sans aucun doute les deux saisons les plus intimistes demeurent pour nous, gens du nord, le printemps du mois de mai et ces couleurs d’octobre: on y ressent un besoin de se réchauffer le cœur, d’ouvrir nos yeux au monde qui se recolore prodigieusement, sans oublier de s’émouvoir à toute beauté physique qui surgit de splendeur. De là, le poète veut se déclarer amoureux.
3-La profusion des battements du cœur
Matthew Li excelle en ce troisième lied à faire jaillir, de lustre viril, les harmoniques de sa grave voix en éclats déclaratifs aussi rapides que les battements effrénés du désir qui se déclare. C’est déjà, depuis le début, une articulation allemande à la hauteur des vers de Heinrich Heine (1797-1856) sur lesquels est composée la musique de Schumann.
5-Chaleur de la déclaration de foi
En ce cinquième lied intitulé Je voudrais tant plonger mon âme, la vibrante voix de Matthew Li s’enrobe d’une frissonnante tendresse passionnée: la virevoltante mélodie d’accompagnement du piano fait s’envoler plus haut encore la sublime mélodie expansive de ces mesures uniques dans toute l’histoire de la création musicale allemande et que l’acoustique de la salle du Conservatoire achève d’auréoler d’intensité sincère.
6 et 7-Le pianiste excelle à répondre à la basse
Ici, l’amorce du lied Là dans les eaux du Rhin est de la plus haute perfection d’imitation des flots fluviaux. Li s’attarde à l’allusion à la gravité de l’évocation des eaux du Rhin où Schumann finira son existence stable en s’y jetant entier un jour désespérant de février 1854. La complainte appelle à la connivence du pianiste qui répond en ses graves du clavier avec la même intensité. Au lied suivant baptisé Je ne t’en veux pas, archi-célèbre pardon amoureux, toute la virilité du déni d’affect se comble d’ironique contresens. Matthew Li atteint l’intensité d’un Friz Wunderlich jadis accompagné par Hubert Giesen (Deutsche Grammophon 4497472).
8-La souffrance à son paroxysme
Le lied traduit en français par Ah! Si la moindre fleur savait prend à témoin toute la nature et ses créatures: la partie de piano est virevoltante en un tourbillon de douleurs enchevêtrées d’impossibles rédemptions. Le pianiste et le chanteur accélèrent ce tourbillon à leur intensité maximale.
9- L’irrésistible danse attrayante de sa belle
C’est ici pour le piano le moment le plus dansant et le plus lyrique de déchirements de tout le cycle. La voix chevrotante de Li en ces douleurs, mais fort puissante de virilité stoïque outrepasse bien au-delà de l’émotion d’amour éperdu, le sentiment d’inaccessible, d’impossible épanchement reçu.
11 à 13- Par un radieux matin d’été jusqu’aux pleurs
La méditative lenteur de ce douzième lied rassérène momentanément le poète qu’incarne Matthew Li. La partie de piano procède de la cime des aigus aux profondeurs du gouffre abyssal des graves après de ludiques allusions à une chanson fredonnée jadis par sa belle et une rationalisation à l’effet que chacun courtise un autre qui en cherche un troisième dans une espèce de chasse à courre perpétuelle. Enfin, en soliloque, la voix résolue de Li admet sa peine et ses larmes sourdent, avouant le naufrage amoureux.
16- Staccato, Portamento, Andante espressivo
S’accompagnant tout au long du cycle de son interprétation par des gestes adaptés, Matthew Li, l’artiste jouant ce poète, s’emploie de stoïque résolution à faire entendre que le poète enterrera son mal en un imaginaire cercueil et clame ultimement: « Ce qui rend ce cercueil si lourd c’est qu’il contient ma joie, ma peine et mon amour. » La sublime partie pour piano tonne autant em puissance de résolution que la basse alors que surgit l’Andante espressivo du solo final, la plus fine cristallisation de lied qui se puisse, telle une couronne de fleurs consolatrices des amours déçus du poète.
Schubert, Verdi, Rachmanininoff
Trois lieders de Schubert bien rendus, et un extrait du Simon Bocanegra de Verdi comme ajout subit, sont venus précéder cinq superbes chants de Serge Rachmaninoff (1873-1943) dont la cavatine d’Aleko cet opéra d’autres récits de mésaventures amoureuses bien trop peu programmé en Occident. Cette entière cavatine fut un grand moment de perfection du récital de Li.
Les torrents du printemps et un rappel
Vesennije Vodi de Rachmaninoff est sans doute le plus célèbre des chants du compositeur et pianiste russe (avec sa Vocalise), mais, pour le moment, certaine note trop basse (encore pour la voix en maturation du polyvalent Matthew Li) pose encore un léger défi. Un rappel de remerciements signé Richard Strauss conclut le récital.
Vers les concours et les engagements
La diction italienne ou allemande ou russe ne lui pose aucun problème, la ferme voix est vraiment exceptionnellement belle et solide, et nous attendrons une autre occasion de l’écouter en français là où les concours l’amèneront jusqu’à nous (ou nous jusqu’à lui) dont, espérons-le, le prochain Concours musical international de Montréal de mai 2025 si ce souhait d’entrée en lice peut se réaliser pour lui. Au sortir de ses deux années de perfectionnement à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, Matthew Li se perfectionne avec de pleines bourses d’études dans la capitale ontarienne aux abords de ce majestueux lac qui miroite l’horizon américain où il reçut formation de maîtrise en interprétation à la fort célèbre faculté de musique de l’Université de l’Indiana.
Société d’art vocal de Montréal