Déjà ma curiosité avait été piquée lorsque j’ai lu que c’était par choix que Gazaille troisième avait mis en scène la pièce de Nina Raine Rabbit au bar de la Licorne et non pas dans une de leur salle.
La plume intelligente, poétique et pleine d’humour de Nina Raine nous a déshabillé, nous a mis à nu, afin de nous renvoyer le reflet des mécanismes relationnels humains que, normalement nous préférons cacher. Cette oeuvre n’est pas pour les autruches.
Chapeau d’ailleurs au travail de traduction de M. Yves Morin qui ne se limite pas à une traduction de sens, mais aussi de l’esprit, des rythmes et du sentiment de “cockiness” anglais. J’ai beaucoup apprécié les choix de mise en scène avec la structure fonctionnelle de l’espace; bien entendu le bar de la Licorne, mais aussi ses espaces adjacents et la rue. Un écran nous permettait aussi de voir ce qui se produisait à l’étage inférieur, ce qui normalement aurait été complètement en dehors du champs de vision du public.
L’utilisation de ces espaces mitoyens à l’aire de jeu principale utilisée par les comédiens a réussi à transformer l’espace en un univers poreux. Les allers-retours entre tous ces espaces ont créé une superbe métaphore visuelle du fonctionnement du flot de la pensée qui se dévie lorsque les flashbacks cognent à la porte.
Le choix de mettre sur le même plan l’action théâtrale et le public a créé une expérience d’intimité pour celui-ci, sans toutefois lui enlever son rôle traditionnel de “voyeur”. La finesse de cette décision a fait en sorte que même si le texte ou l’action peuvent être très bouleversants par moments, cette distance maintenue entre les spectateurs et les acteurs, si infime soit-elle, permet de préserver un certain “confort” à l’expérience théâtrale du public. On sent que l’on a réfléchi non seulement à tout ce qui se produit sur scène, mais aussi à comment serait perçu l’expérience théâtrale performée.
Le jeu des comédiens a commencé un peu avant l’heure, pendant que les spectateurs achetaient leurs dernières consommations.
La synergie construite par les comédiens a donné une grande fluidité au jeu et au déroulement de l’action. La formidable écoute des acteurs leur a permis de faire un superbe travail au niveau du rythme de la pièce et de leur présence.
Un autre aspect du jeu des acteurs que j’ai beaucoup apprécié, c’est leur capacité d’alterner précisément la prise de l’attention des spectateurs et parfois, de presque disparaître et de s’effacer, tout en restant à la vue du public. Par la gestion de leur état de présence, ils ont transformé nos yeux en caméra.
Pour pousser ces génies en herbe, je leur demanderais: Comment serait-il possible de varier davantage les transitions? Comment moduler physiquement l’évolution de la grande ingestion d’alcool des personnages? Mais, ce sont mes seuls grain de sel.
Pour moi, c’était une expérience de grand théâtre, du théâtre articulé, intelligent et touchant. Une des rares fois même où je n’ai pas décrochée ! J’ai été charmée.
Du 18 au 20 octobre
Au bar du théâtre de la Licorne : 4559 avenue Papineau
Production: Gazaille Troisième
Auteur: Nina Raine
Traduction: Yves Morin
Mise en scène: Olivia Palacci
Avec: Isabeau Blanche, Benoît Dagenais, Olivier Gervais -Courchesne, Maude Hébert, Olivia Palacci et Christophe Payeur
Musique : Ariane Zita
Costumes et accessoires: Cynthia St-Gelais
Maquillage: Stéphanie Chaumette
Direction de production et assistance à la mise en scène: Marie-Claude D’Orazi
Régie: Stéphany Béliveau