Dimanche le premier octobre 2017, 15h30, Salle Pollack.
Série du Ladies Morning Musical Club
Programme
La sonate K.282 en mi bémol majeur (1775) remplaçant la sublime K.511 Rondo en la mineur de Mozart (1756-1791) composée en 1787 .
D.664 Franz Schubert (1797-1828) Sonate en la majeur composée en 1819
Franz Liszt (1811-1886) Funérailles composée en 1849
Johannes Brahms (1833-1897) Sonate fa mineur opus 5 terminée en octobre 185
La surprise d’apprendre in extremis par l’artiste que la sonate K.282 (de 1775 – soit les 19 ans de Mozart, époque de sa composition des six concertos pour violons) remplaçait l’intention auparavant mûrie de nous offrir un Rondo sublime, celui en la mineur K.511 a semé la consternation. La sonate K.282 que Laplante connaît vraisemblablement par coeur comporte un adagio, deux menuets et un allegro final dont on peut dire qu’ils forment une musique peu signifiante, idéale pour un réchauffement tactile. Mais ce n’est pas là une oeuvre équivalente à la stature des autres oeuvres au programme.
Ainsi, le récital d’André Laplante du premier octobre au LMMC aura commencé autrement qu’on l’attendait. Sans parler de bousculade, le silence était loin d’être fait dans la salle interloquée que Laplante s’est mis à jouer tout de suite et de même pour chaque oeuvre de la première moitié du récital. Le sentait-on plus tendu, plus pressé qu’à l’habitude? J’ignore la réponse mais André Laplante a toujours montré une intensité et une versatilité prodigieuses en récital et cette fois n’a pas fait exception, la sonate de Brahms restant le clou de sa prestation.
Suivait au Mozart reprogrammé, la sonate numérotée Deutsche 664 de Franz Schubert (1797-1828) Sonate en la majeur composée en 1819 alors qu’il n’avait que 22 ans. C’est une de mes sonates préférées de Schubert, tellement chantante qu’elle porte son bonheur simple dans tous les coeurs dès ses premières mesures. Schubert, -compositeur prolifique, célibataire, entouré de bons vivants et dont la plupart des sonates sont accessibles à presque tous les jeunes musiciens en tout cas- offre ici une oeuvre émouvante. Jouée avec finesse et une grande tendresse en ses maints dialogues intérieurs par Laplante, elle revêt une grande majesté, même aux moments de sobre simplicité. Le deuxième mouvement de cette sonate est un Andante bouleversant de désarroi résigné comme s’il s’agissait de l’acceptation de notre humble place dans l’ordre (ou le désordre) du monde.
Sans donner de temps à aucune effusion substantielle du public, le programme du récital de Laplante continua de défiler avec les lugubres mesures des pages de Funérailles de Liszt (composées en octobre 1849 pour les patriotes et révolutionnaires hongrois exécutés par le régime des Habsbourg selon ce qu’on en dit habituellement). Ces Funérailles sont aussi apparues le mois même de la mort de Frédéric Chopin, le plus grand poète du piano qui ait vécu en France avant Fauré, Ravel et Debussy. Chopin est décédé à 39 ans (précisément le 17 octobre 1749 dans la nuit du mardi au mercredi). Chopin était malade depuis plusieurs mois et il est celui dont Liszt se croyait l’ami mais Liszt n’avait jamais obtenu vraiment en retour de son estime sincère aucune espèce d’admiration béate de Chopin… Néanmoins, ces Funérailles s’insèrent désormais dans les Harmonies poétiques et religieuses de Liszt: ce sont des pages très sombres dont une version m’est inoubliable (RCA Victor LM-2584) où Vladimir Horowitz rend Hommage à Liszt avec un seul m à hommage, mais comme personne n’a jamais pu ni su le faire depuis lors ! Les Funérailles de Liszt restent une grande musique moins tonitruante, moins tapageuse lorsque André Laplante les interprète. À presque 68 ans, Laplante conserve encore d’immenses moyens techniques comme Shura Cherkassky et Nikita Magaloff à son âge, virtuoses de sa stature que j’ai jadis été fortuné d’entendre dans ce Liszt.
Venons-en maintenant au plat de résistance du programme, soit l’oeuvre de Brahms au programme. On a parlé souvent du choc amoureux causé chez Clara et Robert Schumann par l’apparition juvénile et musicale du jeune Brahms de 20 ans, dans leur demeure à Dusseldorf, un 30 septembre 1853, avec sous le bras ses opus 1 ,2,3, et, en partie, cette sonate venue spontanément du coeur tendre de Johannes. Sous les doigts de Laplante, cette sonate prend tantôt sa vigueur incomparable et puis , dans l’Andante , soudainement une douceur de berceuse. Laplante rendra bien l’atmosphère mystérieuse de l’Intermezzo intitulé Ruckblick . Toute cette ultime sonate de Brahms a joui de la plus haute maîtrise technique et artistique. En épigraphe de l‘Andante, on retrouve d’ailleurs, au haut de la partition de Brahms ces vers allemands du poète Sternau: <<La nuit tombe, la lune brille, deux coeurs unis par l’amour s’enlacent avec béatitude.>> Dans son enregistrement sur Analekta Laplante joue cet Andante, ce mouvement <<allant>> mais moins lentement que Claudio Arrau (Philips 432 302-2) dont les respirations profondes sont audibles et les pauses ou silences saisissants et teintés de haute spiritualité musicale. Délicatement fignolée avec cette profonde poésie constituant sa marque ou sa touche constantes, la sonate de jeunesse reste impressionnante sous ses doigts. Laplante, certes, n’en a pas égalé son exploit sur disque mais il s’est hissé très haut et le public l’a chaleureusement ovationné avec raison. La sonorité, la mémoire de Laplante restent en somme intactes et l’oeuvre presque tout aussi rutilante et emportante que sur son propre remarquable disque Analekta de 2008 (AN2 2022).
Souvent, on oublie la poésie. Aussi, au fil des ans, maintes fois ai-je entendu la remarque désobligeante : <<Je n’aime pas André Laplante car il chante en jouant au piano.>> Vraiment? Le chant c’est toute l’essence de la musique et une voix humaine accompagnant ses propres doigts, ça ne saurait être un empêchement absolu d’aimer et d’apprécier. Écouter est bien plus qu’entendre la grandeur d’un interprète de la stature d’André Laplante.
N.B. André Laplante, visiblement incommodé par je ne sais quoi, ne nous a offert aucun rappel, le public est resté en attente, l’applaudissant débout, puis s’est résigné vers la sortie.
André Laplante, natif de Rimouski- a étudié à Vincent d’Indy avec Nathalie Pépin, Yvonne Hubert, puis Yvonne Lefébure à Paris, ensuite à Juilliard (New York) avec Sascha Gorodnitzki remportant durant ces années de travail éreintant, passionné et acharné le 3ième prix du concours Marguerite-Long (1973) et le second prix du concours Tchaikovsky de Moscou en 1978 ce qui lança véritablement sa carrière. Il enseigne également son art au Conservatoire de Montréal.