Une fébrilité peu commune planait mercredi soir autour de Place Bell à Laval, gyrophares et sirènes de police hurlants, restaurants aux abords affichant complet, barrières VIP pour accueillir en toute sécurité le défilé de vedettes et personnalités sur le tapis rouge tandis que la foule s’entassait aux portes pour la Première de la quatrième mouture, de Paris à Montréal, du tant attendu Starmania.
Starmania a repris du service à la Seine musicale située à Boulogne-Billancourt en novembre 2022 avant de tourner en France, en Suisse et en Belgique. Il était grandement temps qu’il arrive au Québec.
Entrée de Plamondon
Mais celui dont la venue suscitait le plus d’intérêt est sans doute Luc Plamondon. Tandis que la foule commençait à s’impatienter dans l’enceinte lavalloise, une tête bouclée blanche reconnaissable entre mille s’est avancée tout doucement au parterre au bras de la diva Diane Dufresne, la Stella Spotlight de l’an 1979, sous les applaudissements nourris de la foule.
Si l’opéra rock de Michel Berger et de Plamondon a toujours cartonné depuis sa création au Palais des Congrès de Paris le 10 avril 1979, c’est que l’humanité et son activité destructrice sur Terre n’a fait que progresser. Les thèmes de la guerre, du politique, de l’écologie, de l’identité de genre, de la passion, du terrorisme demeurent : les auteurs de Starmania, prophètes de leur temps, avaient vu juste 45 ans plus tôt.
Une puissante livraison
Sur scène, le brillant metteur en scène Thomas Jolly qui a conçu la cérémonie des Jeux Olympiques à Paris, est entré dans le projet Starmania en 2019. L’arrêt mondial provoqué par la pandémie lui aura permis de peaufiner et de livrer un spectacle puissant, avec un livret revu et corrigé.
Au premier tableau, des silhouettes dans une course effrénée sont apparues, incommunicado, s’entrecroisant, mallette à la main, pressées, semblant indifférentes à leur environnement. Puissant symbole de notre société qui malgré la multiplication des moyens de communication, tend à isoler de plus en plus chacun de nous.
Non seulement la distribution a-t-elle été triée sur le volet, voix, jeu d’acteur, et ces danses porteuses de sens, mais les jeux de lumière exceptionnels agissent comme personnages dans un décor minimaliste. Ces éclairages sont magistraux. Thomas Dechandon a créé des cages de lumière sous la scène et en a remis avec des projecteurs en 3D qui donnent un sens aux propos des acteurs. Ils emplissent de façon percutante la scène ainsi que l’enceinte du stade.
Le parvis de Monopolis est dépouillé et oscille entre l’obscurité et la pénombre sur lequel des panneaux amovibles se bercent. Il accueille des structures en dédale qui empruntent à un univers science-fictionnel au risque de s’y égarer. L’ensemble est étonnamment soutenu par un orchestre en live sous la direction musicale de Victor Le Masne et les musiciens prennent place de chaque côté de la scène.
La scénographie signée Emmanuelle Favre épate certes. L’inconvénient est sans doute que dans un stade de la taille de Place Bell, si le spectateur est le moindrement éloigné, il est privé du jeu des acteurs/chanteurs et il cherche à comprendre ce qui se passe sur un plateau où l’action est perdue dans la noirceur. Seule une scène mettant en action Johnny Rockfort et Cristal est reproduite sur écran géant.
Les personnages typés
Au menu de ces artistes choisis pour incarner les personnages célèbres et les chansons vers d’oreille, il y a le rebelle écorché Johnny Rockfort. Ce Roméo terroriste est personnifié avec force et charisme par William Cloutier, gagnant de Star Académie 2021 au Québec. Il donne vie à un Johnny Rockfort, agressif, athlétique, doté d’une voix polyvalente à la tessiture flexible. Il émeut aux larmes dans SOS d’un terrien en détresse.
Pour la jolie poupée Cristal, celle qui ravira le coeur de Johnny. Sa muse. Gabrielle Lapointe, 20 ans, une native de Québec, fille du baryton Jean-François Lapointe et directeur de l’Opéra de Québec. On l’imagine née dans la musique. Le rôle de présentatrice à Télé-Capitale, avait été interprété par des icônes de la chanson comme France Gall et Martine St-Clair. Elle crie son Besoin d’amour dans la chanson éponyme. Ce personnage complexe a été inspiré par l’histoire de Patricia Hearst au mi-temps des années 70.
Sadia est endossée par la montréalaise Myriam Baghdassarian dont les parents sont d’origine arménienne. Elle est le cerveau des Étoiles noires. Agent double manipulatrice, elle incarne un personnage précurseur, qui porte une dualité en elle et aborde des thèmes comme l’identité de genre. Elle interprétera la chanson culte Travesti avec passion.
Ziggy est un personnage naturel pour Adrien Fruit qui a interprété la célèbre Un garçon pas comme les autres avec ses tripes. Ziggy représente l’obsession de notre société contemporaine pour la célébrité et le succès immédiat. Il est une sorte d’anti-héros qui nous pousse à nous questionner sur nos propres valeurs.
Heidi Jutras a fait ses études en musique avec la chanteuse Johanne Blouin au Québec. Elle ne passe pas inaperçue non plus dans Marie-Jeanne. Quand elle livre Les uns contre les autres, son personnage nous invite à l’unité. Elle est la voie qui nous guide à travers cette histoire universelle de rêves, d’amour et de déception.
Il y a bien entendu David Latulippe en Zéro Janvier, magnat de l’immobilier, riche politicien rigide, ambitieux, raciste, anti-écologie. Il rappelle le candidat orange à la Maison blanche ces jours-ci. Son interprétation magistrale du Blues du businessman différent que ce qu’avait donné Claude Dubois, est un des clous de la soirée pour sa voix, pour la mise en scène et pour ce jeu féérique et multidimensionnel de lumières. Zéro Janvier est prêt à tout pour atteindre ses objectifs, y compris à corrompre les élus et les fonctionnaires. Son personnage est une allégorie du pouvoir et de ses dangers.
En Stella Spotlight, MAAG devient un personnage profondément tragique, complexe et attachant. Son histoire est une métaphore de la condition humaine, de la gloire éphémère, qui incarne les contradictions de la célébrité et la lutte contre le temps. Elle est une figure emblématique de la culture populaire, qui continue de fasciner le public. D’ailleurs les tableaux dans lesquels elle apparaît sont à tout coup marquants à cause de cette voix divine et puissante.
La parisienne Malaika Lacy en Gourou Marabout incarne quant à elle une figure énigmatique et marginale dans l’univers de Starmania et apporte une touche mystique et exotique à l’opéra-rock.
Danse-théâtre
Dans chacun des tableaux, les chorégraphies imaginées par Sidi Larbi Cherkaoui apportent une dimension inédite. Elles sont porteuses de la tragédie et nécessaires après le chant et la musique, pour créer cette troisième dimension. Avec ses 15 danseurs dont 8 hommes et 7 femmes, il mêle des éléments de danse classique, de hip-hop et de danse contemporaine.
Son langage chorégraphique met en valeur la musique de Luc Plamondon et Michel Berger, tout en apportant une nouvelle perspective. Ses chorégraphies ne sont pas de simples illustrations des chansons, elles en sont une véritable extension, offrant une lecture contemporaine et engagée de Starmania.
Mot de la fin
Si la taille de la Place Bell a parfois rendu difficile l’appréciation de certains détails, notamment en raison d’un éclairage parfois trop tamisé, la qualité des prestations a largement compensé. Les artistes, tous d’une excellence indéniable, ont offert une interprétation magistrale de cette œuvre culte.
Un regret subsiste pour le Québec cependant puisque aucune tournée n’est prévue à l’extérieur de Laval à la grande déception de nombreux fans.
Par ailleurs, les producteurs ont de grandes ambitions pour Starmania et envisagent déjà une tournée en Asie. Une nouvelle preuve que ce spectacle, malgré les années, continue de fasciner et de toucher le public.
Et qui pourrait mieux incarner ces personnages en quête de gloire que des artistes ayant eux-mêmes gravi les échelons de la célébrité grâce à des émissions comme Star Académie et La Voix ? Une boucle fascinante qui témoigne de la pérennité de ce mythe.
STARMANIA – L’OPÉRA ROCK
Supplémentaires du 13 au 18 août 2024
PLACE BELL
Photos: Anthony Dorfman et Sébastien Jetté