Plus de 30 ans après sa création en français au Quat’Sous, la pièce Traces d’étoiles de la dramaturge américaine Cindy Lou Johnson renaît au Rideau Vert. C’est de nouveau Pierre Bernard qui signe la mise en scène de cette rencontre tumultueuse: une femme venue d’Arizona frappe à la porte d’un homme vivant seul en Alaska; alors qu’un énorme blizzard sévit, ces personnages torturés, interprétés par Mylène Mackay et Maxim Gaudette, seront aussi confrontés à leurs tempêtes intérieures.
D’entrée de jeu, saluons l’interprétation nuancée de Maxime Gaudette qui n’a eu que quelques semaines pour se glisser dans son rôle, après le désistement du comédien Émile Schneider. Bien qu’il soit lui aussi en déroute, le personnage de Henry Harry, moins volubile que sa partenaire, rassure partiellement le public, un peu abasourdi par l’entrée en scène tonitruante de Rosannah DeLuce, plutôt surjouée par Mylène Mackay.
Rappelons que dans ce récit un peu fort de café, une femme vêtue d’une robe de mariée et portant des souliers de satin, en pleine tempête, débarque chez un pur inconnu, en l’apostropohant sans le laisser placer un mot, jusqu’à ce qu’elle tombe endormie. On apprendra plus tard que Rosannah a abandonné son fiancé, le jour où ils devaient se marier, en fuyant l’église et leurs invités. Depuis ce temps, elle a pris la fuite à bord de sa voiture, sans destination précise.
Quant à son hôte, il vit loin de la civilisation, car il n’arrive plus à faire confiance aux humains. Il a trouvé refuge dans un espace dont les murs inclinés semblent symboliser son équilibre fragile. Dans ce décor judicieusement conçu par Daniel Castonguay, il n’y a qu’une seule fenêtre laissant voir le «white out» qui risque de paralyser la région durant des jours ou même des mois!
La table est ainsi mise pour entrer dans les univers parallèles de ces deux êtres meurtris. Comment en sont-ils arrivés là? Que cherchent-t-ils? Leurs drames devraient nous émouvoir. Pourtant, il y a quelque chose d’agressant chez Rosannah, prête à accuser Henry de lui avoir fait frôler la mort en tardant à lui ouvrir sa porte, alors que le pauvre homme dormait!
Madame clame son besoin d’authenticité, tout en jugeant les siens qu’elle dit avoir fui parce qu’ils sont tous «endormis». Plus encore, cette femme égocentrique admet qu’elle ne voit pas l’utilité de donner signe de vie à ses proches qui sont sans nouvelles d’elle depuis maintenant plusieurs semaines.
Puis, il y a dans cette pièce tant de détails qui me semblent prendre une place démesurée, à commencer par les souliers de satin de l’intruse que Henry a abîmé en les mettant au four… Cette bévue embarrassante rappelle un souvenir douloureux à cet homme d’une grande sensibilité mais, c’est un peu tiré par les cheveux!
Si bienveillant et compatissant soit-il, Henry risque même de se retrouver au banc des accusés, après avoir spontanément embrassé les oreilles de la visiteuse inattendue. En fait, la compassion circule souvent à sens unique dans cette fable où Rosannah impose brutalement sa souffrance à son hôte, sans trop se soucier de la fragilité de ce dernier.
Dans le programme du spectacle, le metteur en scène Pierre Bernard écrit qu’il perçoit, dans Traces d’étoiles, une lueur: «Celle du possible. Celle qui scintille dans le regard de l’autre.» Malheureusement, je ne peux en dire autant, après ce sombre huis clos de 90 minutes qui m’a paru sans issue.
Traces d’étoiles
Texte: Cindy Lou Johnson / Traduction: Maryse Warda
Mise en scène: Pierre Bernard
Avec: Maxim Gaudette et Mylène Mackay
Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu’au 10 juin 2023