L’Espace Libre offre dès à présent, jusqu’au 12 novembre, une touchante pièce d’accompagnement en l’honneur de la belle carrière de la comédienne Monique Miller qui y médite quatre-vingt dix années de sa voluptueuse vie théâtrale, mais aussi 79 ans de rôles triomphaux au théâtre, à la télévision, à la radio et au cinéma.
Voix Humaines
La pièce intitulée Les Voix Humaines fait référence d’analogie avec l’œuvre (au singulier cependant) de Jean Cocteau que Francis Poulenc enveloppa de musique. En réalité, c’est une existence revue par cette fenêtre de la carrière qui est une voie mais aussi l’écoute d’une voix, celle de Monique Miller.
L’Espace libre émeut fortement le public avec une plongée en apnée aux profondeurs de l’âme qui joue, soit cette Monique Miller incarnée qui épousa une multitude de rôles jusqu’à se retrouver entourée, lundi soir 22 octobre, de ses admirables ami(e)s comédien(ne)s reconnu(e)s à l’heure actuelle.
Il y avait aussi des metteurs en scène, des producteurs, en somme les créateurs du milieu théâtral qui l’ovationneront généreusement en ce soir de belle Première: vinrent sans se faire prier Robert Lepage, Anne-Marie Cadieux, Yves Jacques, Éric Bernier, enfin cent personnes invitées et accourues un doux lundi soir d’été indien.
Du Théâtre expérimental
La pièce de 50 minutes intitulée Les Voix Humaines est du théâtre expérimental mis en scène par Félix-Antoine Boutin avec aussi Larissa Corriveau dans un décor des années 50 ou 60 : une radio de l’ancien temps comme on disait jadis, un téléphone à cadran, un vaste espace laissant perler ou vibrer ou réverbérer la beauté des voix d’hommes partenaires et celle de Monique en conversations intimes.
Ces instantanés reforment des bribes du passé artistique par amours ressuscitées. On se laisse emporter par ce songe de l’époque artistique vigoureuse où les grands Jacques Godin et la si belle Pauline Julien, parmi tant d’autres, faisaient étinceler notre vigoureux milieu culturel d’expression française en Amérique.
Une installation bouleversante en plus
Cette pièce est complétée par une installation d’une heure visuelle où surgissent des scènes choisies porteuses de rêveries, ces abandons si essentiels au quotidien quand on prétend vouloir dire à bon escient qu’on sait bien vivre.
Rêvasser à contempler les baisers langoureux d’amoureux éparpillés sur son parcours de comédienne adulée (miroir des nôtres, nos mille amants éphémères, en tant que farouches bohémiens ravis de nous laisser attendrir librement à satiété) : on y découvre les scènes, en noir et blanc, de ses rôles célèbres, tous de beaux fragments de beaucoup de ces incarnations que Monique Miller a réalisées.
Sur un prélude au piano d’Alexandre Scriabine
À ses côtés surgissent de beaux cavaliers amoureux de vraiment beaucoup de belles femmes du Québec, mais pour ma part j’ai noté le beau profil du grand poète-musicien Claude Léveillée avec sa belle voix d’Orphée incompris.
Je ne décrirai ici qu’une scène sublime de 50 secondes ayant capté mon oreille et toute mon attention: un dialogue amoureux de Monique Miller avec une voix mâle, apparemment au téléphone, offert sur l’entièreté du Prélude en do dièse mineur (Opus 11 no.10) d’Alexandre Scriabine, incarnant non seulement le ravissement amoureux, mais, en plus, un rendement impeccable en sa brièveté euphorique au piano.
Chaque mesure du prélude fut une caresse des sonorités uniques à l’attendrissement amoureux. Ainsi, une seule scène de cette installation a fait sourdre du passé cette naïveté de mes 22 ans, une époque où je jouais (pour l’Autre, toujours cet inconnu avec un grand A) ce numéro de l’opus 11 avec fiévreuse passion, jusqu’à tard le soir, dans mon petit logis presque sans meubles du coin Duluth Saint-Denis.
Une grandiose incarnation du Québec
Grâce à cette archive de Monique Miller, m’est revenue, les effets de petite madeleine trempée dans le thé, ces images de cette époque où radio, télé, théâtre, cinéma, concerts faisaient tant de bien à l’âme et au cœur du Québec, notre peuple dirigé alors par l’équipe dite du Tonnerre fructueusement parvenue au pouvoir, triomphant modestement, en tout cas au théâtre, par une sûre moisson de grandes comédiennes, fruits savoureux de notre Révolution tranquille.
Mille fois bravo, Madame Miller.
Crédit photo : Maryse Boyce