Dès l’ouverture des rideaux de scène du spectacle Formidable Aznavour: histoire d’une légende au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, on a soudainement le coeur serré et les yeux au bord des larmes en entendant la voix du maestro Aznavour qui chante quelques phrases de Non je n’ai rien oublié sur une scène encore vide, avec une immense photo de Charles Aznavour en prime.
Pourtant Jules Grison qui tourne avec ce spectacle magique de Montréal à Winnipeg en passant par Rimouski, et de Dubai à Gdansk, a tôt fait de virer nos cœurs en chantant la coquette et rare, La salle et la terrasse (1983) dans un décor de bistro parisien sur des paroles de Bernard Dimey et une musique de Charles Aznavour, mélodie campée sur accordéon qui rappelle les sonorités à la Piaf.
D’entrée de jeu, on est ébahis par la stature et l’aisance athlétique sur scène de Grison, et par ce timbre cristallin : tout est contraste avec le compositeur aux origines arméniennes. La première partie de ce spectacle flirte avec la revue musicale à l’américaine à cause du mouvement sur scène, des jeux d’acteurs et des interactions entre le protagoniste et les personnages dans un bistro de Montmartre (ceux-ci sont des musiciens) mais se déroulera finalement dans une atmosphère de concert au décor sobre en seconde partie.
On est vite transportés par des classiques comme Plus bleu que tes yeux, un autre rappel de Piaf, tandis que dans Paris au mois de mai, on découvre l’artiste multidisciplinaire qu’est Jules Grison qui suit le rythme avec ses slides et ses scuffs de danse à claquettes qui reviendront ici là au fil des chansons. La voix est juste, les paroles claires, l’énergie au rendez-vous et l’orchestration transformée et très jazz. Dans La Bohème, Grison reprend les gestes de Charles Aznavour qui, mouchoir en main (il ne le laissera pas tomber comme dans l’original), feint de dessiner. Et lentement, c’est le visage de son auteur qui apparaît en fonds de scène pour nous épater.
Formidable Aznavour sert aussi de patrimoine pour l’œuvre de Charles Aznavour parce qu’il ramène des chansons comme Pour faire une jam (1958) avec des arrangements différents mais en leur donnant une nouvelle vie. Aznavour adorait que les jeunes revoient son œuvre autrement comme Zaz ou Chico l’ont fait par exemple, et il était à l’écoute des musiques des époques où il a vécu. D’ailleurs Jules Grison est allé chercher l’aval de Charles pour ce spectacle lors d’une rencontre à New York.
Loin de l’imitation et de la nostalgie, cette production a pour effet de célébrer l’oeuvre d’un immense artiste, d’époques, de mélodies et de paroles indémodables. Les cinq musiciens au piano, à la batterie, au violon et à la flûte, à l’accordéon et à la contrebasse forment un tout et ont une présence comme on le voit rarement sur scène si bien qu’il y aura des changements de costumes pour certains d’entre eux au retour de l’entracte.
Les bijoux de chansons que sont Je m’voyais déjà, Hier encore, Les plaisirs démodés, Que c’est triste Venise, Désormais, Et pourtant, Comme ils disent, Mes emmerdes et Emmenez-moi feront aussi partie des événements de cette soirée. Certains de ces poèmes d’orfèvre seront chantés à la façon unpplugged, musiciens placés en demi-lune, autour d’un feu qui apparaît un peu trop gros en arrière-scène. Seule la difficile chanson Toi et moi interprétée en duo avec une musicienne aura été moins réussie dans un bassin de 1200 chansons qu’il a fallu minutieusement sélectionnées.
Jules Grison nous apprendra que lors de sa première visite au Québec en 2018, il découvrait que ce qui a été populaire en France du répertoire d’Aznavour est un tant soit peu différent au Québec.
C’est rassasié que le public ravi quittera cette généreuse table offerte par Jules Grison et Formidable Aznavour, non sans un brin de nostalgie, en lisant la citation À jamais dans nos coeurs, à côté de cette photo de Charles Aznavour, les yeux fermés.
De retour à Montréal, le 22 novembre 2020, si Dieu le veut…